samedi 8 juin 2013


Cinéma avec J., on avait prévu de voir à la suite les deux Shokuzai, séance complète au MK2 Beaubourg. Puis L'homme tranquille de Ford à la Filmothèque mais on s'est trompés d'horaire dans le Pariscope, donc finalement : Shanghai Express de Sternberg que ni lui ni moins n'avions vu. C'est toujours un peu comme ça qu'on finit par voir ses classiques : quand il n'y a plus que ça à voir. J'ai pour ma part toujours eu une tendance à commencer par la périphérie, les classiques m'ennuient, pas besoin de les voir puisqu'on sait à peu près comment c'est. Le mieux étant le classique qui ne correspond pas à sa réputation (transposition de ce qui se passe dans la vraie vie avec les gens). Ca m'est récemment arrivé avec Lawrence d'Arabie, film que j'imaginais outrageusement très narratif et chargé, et qui est en fait un grand film expérimental, nu, finalement : totalement désertique, comme peut d'ailleurs être humide Le pont de la rivière Kwaï.

Donc Shanghai Express, toujours ce même problème avec Sternberg : la totalité du film semble en sommeil, on dirait des nappes de récit endormi, au rythme très dilaté : des portes s'ouvrent, des mots s'échangent mais tout est comme passé sous silence. Le silence des films de Sternberg, le silence des films des années 30, comme si une couette étouffait tous les bruits, d'où ce sentiment que le parcours d'une scène à une autre épuise, parce qu'il y a tout ce silence autour - c'est comme regarder une très vieille screwball comedy, l'idée de l'échange vif est comme contredite par les crevasses de silence grésillant.
Mais chez Sternberg cette logique va plus loin, les scènes narratives s'agglutinent autour des quelques gros plans sur Dietrich qu'il filme comme une fleur qui se dilate, se répand. Lorsqu'il la filme : elle parle à un homme, elle embrasse un homme, elle pense à un homme. Agent X27, Morocco, L'impératrice rouge, même logique : les gros plans de la passion qui brûle, de l'histoire officieuse, et les plans plus larges de l'histoire officielle. Le titre français de Morocco est d'ailleurs : Coeurs brûlés. Les films de Sternberg avec Dietrich racontent toujours la même chose mais ils se déguisent pour la raconter, de même que Dietrich se déguise mais son visage raconte lui aussi toujours la même chose : l'histoire d'une vamp qui cache son coeur sous sa coquetterie.
On ne sait pas trop si c'est un chat, ou juste la femme la plus sexuelle du monde. Elle joue comme si elle était toute seule sur scène (qu'elle chante ou qu'elle parle c'est le même jeu), toute seule à l'écran, ses pupilles roulent malicieusement, c'est sa façon à elle de dire qu'elle n'est pas du tout là. Il n'y a chez elle que des commencements, elle ne cesse de recommencer son jeu à chaque phrase, d'où ces manières, qui rendent impossibles l'idée d'une stabilité au sein de son jeu, d'où donc, cet effet d'hypnotisme, on est toujours en train de se demander "et après ?" en la scrutant.
Sternberg atteint à une forme de mise en scène cristalline que lorsqu'il filme Dietrich, en dehors de ça le trait est plutôt gras, baroque, on a l'impression d'être calfeutré dans les plans. Alternance de cristal et d'épaisse dentelle.


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