dimanche 8 janvier 2017

La Boîte à chat (Daddy's gone a-hunting) de Mark Robson (1969)





Mark Robson est un cinéaste extrêmement énigmatique, à la carrière scindée en deux : dans les années quarante il monte la Féline et Vaudou de Jacques Tourneur, réalise quelques très beaux films produits par Val Lewton, connus pour être le producteur d'une poignée de chefs-d'oeuvres du cinéma fantastique et horrifique à petit budget : La septième victime, Bedlam, Isle of the dead. Puis dans les années 50, comme un charme qui se rompt, Robson réalise des films comme L'auberge du sixième bonheur film familial pétri de bons sentiments avec Ingrid Bergman, ou encore les étranges soap opera cinématographiques que sont Peyton place ou la Vallée des poupées. Des films situés aux antipodes de sa première partie de carrière, comme si le Robson des années 50 avait tué celui des années 40.
Devant Daddy's gone a-hunting, on se dit qu'on détient peut-être une synthèse parfaite qui conjugue le meilleur des deux Robson. A la fois ce côté extrêmement profane, parfois ingrat, de la série B qui ici frise le téléfilm, et puis, cette façon de composer avec (on devrait dire grâce à) de faibles moyens et un sens de l'économie un personnage véritablement inquiétant. Robson reconnecte ainsi le soap opera à l'esthétique Val Lewton. Le fantastique est là comme un horizon que le film ne fait que suggérer sans jamais vraiment le déployer, bien que Daddy's gone a-hunting semble être un remake inavoué de La Féline de Tourneur.

 Kenneth croise une femme dans la rue, pour attirer son attention il lui jette une boule de neige dans les cheveux. L'histoire d'amour entre Kenneth et Cathy commence sur une anecdote romantique et attendrissante qu'ils pourront raconter à leurs enfants. Dans cette première scène magnifique se révèle déjà la folie de son personnage : son geste est charmant, romantique, mais aussi, quand on y réfléchit, absolument inquiétant. De loin, sa folie a du charme. Or tout ce qui composait sa séduisante excentricité se retourne peu à peu en cauchemar. Le couple coule des jours heureux dans un petit appartement que Cathy paye. Lui ne travaille pas et devient progressivement une charge pour Cathy qui l'enjoint à trouver du travail. Il devient agressif, bientôt insupportable, ne tolère pas que Cathy se donne le beau rôle et le considère comme un fainéant.
Dans cette première partie qui dépeint la vie de ce jeune couple, il y autant de vitesse qu'il y a de justesse, des plans et des observations merveilleuses, d'autant plus audacieuses qu'elles sont filmées à la truelle. Comme ce chat qui regarde le couple faire l'amour, et qui annonce peut-être le véritable sujet du film. Robson nous montre très finement que ce qui faisait le bonheur d'un couple à ses débuts, peut très vite participer à son malheur. Le charme de la petite bohème conjugale ne peut durer qu'un temps, et doit obligatoirement s'embourgeoiser pour que le couple tienne encore.


Cathy est enceinte de Kenneth, mais elle le quitte. Kenneth trouve les résultats du test de grossesse de Cathy qui lui annonce qu'elle a avorté. Dans une scène magnifique Kenneth croise Cathy dans la rue, un plan le montre en train de pleurer, il lui dit à quel point il avait besoin de cet enfant. On comprend que peut-être cet enfant lui aurait permis de se bouger, de sortir de son apathie. Sa douleur est  immense et sincère, on est, à ce moment-là, absolument de son côté. Sauf que Kenneth va plus loin : il considère que Cathy, en avortant, a assassiné son bébé.

Cathy refait sa vie avec un homme riche aux ambitions politiques. Après la bohème des débuts, elle vit désormais une existence bourgeoise, tombe enceinte et accouche de son premier enfant. Un jour, dans un grand magasin, Cathy recroise Kenneth sous les traits d'un père noël : les enfants défilent et s'assoient sur ses genoux pour se faire prendre en photo. A partir de ce moment, Cathy verra Kenneth partout, on pense d'abord à des hallucinations, or il s'agit d'un harcèlement de plus en plus intrusif qui débouchera sur une violence inouïe : Kenneth veut obtenir réparation et mettra tout en place pour que Cathy tue de ses propres mains son enfant.

Daddy's gone a-hunting
reprend à la Féline l'idée qu'un film sur un personnage fou doit épouser son regard. Kenneth a beau être totalement psychotique, le film prend au sérieux sa douleur, son obsession, et le film est d'abord l'histoire d'un chagrin d'amour, d'une vie ratée, d'un mélodrame masculin : Kenneth assiste, impuissant, au bonheur de la femme qui a "tué" son bébé, convaincu qu'il devrait être à la place de son mari, convaincu que c'est lui qui devrait la rendre heureuse. Devant lui, il voit passer la vie qu'il aurait dû avoir si Cathy n'avait pas avorté. Sans comprendre que ce n'est pas l'avortement qui l'a fait passer à côté de sa vie, mais le fait qu'il soit trop instable pour prétendre à un tel bonheur bourgeois.
Et toute la réussite du film tient à la finesse de ce regard que Robson pose sur le bonheur bourgeois de Cathy : il se révèle crispant (les scènes à la maternité où tous les parents sont gaga devant les bébés) dans ce qu'il a de prévisible, de reproductible à l'infini, ce qui rend la jalousie et la haine de Kenneth absolument justifiées, absolument compréhensibles pour nous. Robson va jusqu'au bout de la logique de son personnage, n'a pas peur de filmer depuis le regard d'un homme qui pense que l'avortement équivaut à un assassinat (le film est scénarisé par Larry Cohen qui était contre l'avortement). Il sait qu'un tel sujet recèle un vertige dont il serait absurde de se priver : celui de filmer le monde sain depuis le point de vue du fou. Devant un tel sujet, il faut absolument jouer avec le feu, et le film devient d'autant plus effrayant qu'il nous met du côté de Kenneth, un héros à la fois sauvage et électrique, calme et psychotique, un véritable méchant hitchcockien merveilleusement joué par Scott Hylands.

La Féline était un film fantastique sur la peur de la sexualité féminine, et peut-être que Daddy's gone a hunting n'est pas autre chose : un thriller sur un homme effrayé, choqué par la sexualité féminine d'une américaine des années soixante. Dans la Féline Simone Simon disait "j'envie les femmes heureuses" et comme La Féline, Daddy's gone a hunting dissimule un film sur la haine du bonheur, ou disons, sur ces personnes, ces cat-people, qui ne parviennent jamais à se glisser dans un bonheur tranquille et détruisent toute tentative d'être heureux. L'ambiguïté, dans ces deux films, reste entière et passionnante : soit ces héros sont trop instables pour être heureux, soit l'acception du bonheur qu'on leur propose leur semble indigne de ce qu'ils sont.

3 commentaires:

  1. C'est un peu curieux quand même que Larry Cohen soit anti-avortement, vu la tendance barzingue, satirique et subversive de ses autres films. Qui plus est, la position anti-avortement est représentée dans le film... par un psychopathe, ce qui est somme toute un choix des plus curieux. Est-ce que cette position est avérée par des propos lisibles ici ou là ? Je me demande...

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  2. L'info vient d'un ami apparemment très bien renseigné :)

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  3. Bonsoir, je viens juste de traduire le film.
    Une atmosphère sombre, assez curieuse pour l'époque
    avec des personnages pas foncièrement sympathiques
    mais un assez bon suspense malgré la longueur du film.

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