lundi 15 août 2016

journal des films (7 au 14 août)

7 août


J.O
pas de films, mais la nuit je regarde les Jeux Olympiques, parenthèse enchantée qu'il faut savoir apprécier de façon boulimique ne serait-ce que parce qu'on a l'excuse que cela n'arrive que tous les quatre ans (si on ne compte pas les JO d'hiver).
Handball, natation, tennis de table (on ne dit pas "ping pong" nous dit le commentateur) : je n'ai pas grand-chose à dire sur le sport et quand je le regarde de façon très exceptionnelle j'apprécie de sentir que la performance qui demande précision, concentration, patience, est contenue à l'intérieur d'une fureur qui est celle de la salle, du stade. Parfois, souvent en bout de match (quand il s'agit d'un match) on peut la sentir, on a l'impression d'en être, et c'est comme une drôle de fièvre à l'intérieur de laquelle les sportifs doivent se rassembler.
Dans les choses très bêtes et très simples que j'aime dans le sport : le fait aussi que cette performance est prise à l'intérieur d'un cadre beaucoup plus global : d'origines sociales, de passion d'enfance, d'entraînements, de mésaventures, de limites physiques, et que tout cela doit concourir à extraire un jus très mince, très subtil, qui est la performance sportive. Telle gymnaste chinoise qui aimerait gagner un maximum d'argent pour aider son père aveugle, tel nageur américain qui prend sa revanche après avoir sombré dans l'alcoolisme.
Le sport ne serait pas autre chose qu'une façon de faire reculer tous les aléas, toutes les circonstances, pour produire de la perfection, une perfection qui élimine ou alors rassemble, réconcilie en un point toutes ces scories. C'est toujours la négation temporaire de l'impur, du monde. C'est très frappant aux JO, où l'on peut sentir la nouveauté des infrastructures et du matériel, on pourrait presque sentir l'odeur de plastique neuf, celui de la piscine, tout un univers propre comme un hôpital, ou même la sueur ne sent rien.
Le plus passionnant est de voir comment deux adversaires peuvent avoir exactement le même niveau mais qu'il faudra pourtant bien les départager, à ce moment le réel s'introduit, les circonstances jouent sur un infime détail en faveur d'un des deux, "c'est le jeu".

8 août

The Chapman Report de George Cukor (1962)

Un film choral sur la sexualité des américaines qui se noue autour du docteur Chapman venu recueillir les témoignages anonymes de plusieurs femmes. Il y a a priori tout ce que j'aime mais le film se perd très vite dans l'illustration très prévisible et mécanique de ses cas pathologiques : la nympho, la frigide, l'infidèle...Il faudrait pouvoir comparer le film à Women (1939). On a toujours le sentiment que Cukor se sent totalement à l'aise pour parler des femmes, à la place des femmes, pour les femmes. Il y a une sorte de complicité et de familiarité tacite entre Cukor et les femmes qui lui permet de se risquer à être cruel, taquin, parfois vulgaire. Ici son aisance se retourne contre lui.

Trahisons à Athènes de Robert Aldrich (1959)

J'entame une mini-rétrospective très distendue de la filmographie d'Aldrich qui commence à devenir mon cinéaste préféré : je compte La Cité des dangers, All the Marbles et Faut-il tuer Sister George ? dans mon top 100 qui n'existe pas. Plus jeune je ne l'aimais pas par ignorance, j'avais vu trois films, je trouvais ça grimaçant et ennuyeux. Je me souviens d'une projection de "Pas d'orchidées pour Miss Blandish...", les acteurs transpiraient à grosses gouttes, depuis je continue de chercher des films où les acteurs suent.
Aujourd'hui je l'aimerais presque par narcissisme, parce qu'il obéit à tous mes critères actuels. L'impureté, le cauchemar, le cinéma maladif, une manière d'être toujours sensuel, sexy, qui est peut-être l'une des choses primordiales lorsqu'on fait des films, lorsqu'on filme des acteurs : montrer qu'on a le sens de la sensualité et celui de l'humour, et donc, qu'on est un réalisateur bien vivant. Cela doit avoir un rapport avec le fait que les acteurs suent dans Miss Blandish, un réalisateur doit avoir le sens de la peau, doit se poser la question de la peau de ses acteurs.
Trahisons à Athènes est un petit Aldrich, un Aldrich impeccable sans être génial. On y décèle sa capacité à dépeindre en profondeur une large galerie de personnages, comme s'il pouvait toujours compter sur son sens de la vie pour faire exister n'importe quel second rôle. C'est ce que je sens le plus chez Aldrich : le fait que ses qualités de cinéaste ne sont pas autre chose que les qualités de l'homme. Ca ne marche pas avec tout le monde.

10 août


The Only game in town de George Stevens (1970)


Elizabeth Taylor se lève péniblement au bruit de son réveil, à la télé : un film avec Bogart. En quelques plans, la gueule de bois de Hollywood, en plus, on est à Las Vegas. Elle joue une femme sentimentale, seule et dépressive, une sorte de Cléopâtre perdue dans un royaume en carton. Cela aurait totalement pu être un film de Cassavetes : langueur et solitude urbaine, l'amour comme dernier recours, dernier endroit où se cacher. En cela le début est assez beau, parce que lâche et contemplatif, installant son atmosphère et ne s'enfermant pas encore dans son dispositif. Ensuite le film pêche par sa trop forte hybridité, entre studio et décor réel, entre sa volonté de nous faire voir le monde d'après l'âge d'or et une star déchue de son piédestal tout en se reposant un peu trop sur son duo d'acteurs star. Le film incarne assez idéalement cette forme d'académisme hollywoodien qui inaugure les années 60 et où il était de bon ton de prendre un air amer et désabusé pour donner l'impression que le cinéma se réveillait d'une longue illusion. On dirait que Stevens tente de faire le jeune réalisateur ou alors le vieux réalisateur encore à la page : ça arrive souvent et c'est la plupart du temps ridicule. Mais il n'a jamais été suffisamment bon pour être autre chose qu'un petit ouvrier bien de son époque et bien de son âge.
C'est trop écrit, trop théâtral, Taylor est mauvaise, trop désorientée, du coup elle oublie son personnage et se remet à jouer comme une diva. Je ne l'ai jamais trop aimée, ni trouvé belle d'ailleurs (à part dans Cléopâtre) : quelque chose de porcin dans le visage, d'un peu peste qui éclate lorsqu'elle pique ses crises d'hystérie. Son jeu est trop binaire, avec toujours cette façon d'aller irrésistiblement de la douceur à la colère. Elle a le jeu de l'état de son cinéma : engoncé, théâtral, hystérique. On est finalement plus chez Tennessee Williams que chez Cassavetes.

Une affaire de femmes de Claude Chabrol (1988)




Un quasi-remake de Violette Nozière, où le personnage de Huppert se situerait à équidistance de Madame Bovary et de Jeanne d'Arc. Je crois que Chabrol dans ce film déploie absolument tout de la palette de Huppert : l'enfant inconséquente et capricieuse (ses moues, certaines intonations parfois), la femme au foyer qui rêve d'une autre vie (d'avoir un amant, d'être chanteuse), la sorcière sans scrupules. Et toutes ses potentialités sont contenues dans un seul et même trait, montrant, d'une scène à l'autre, toujours une nouvelle nuance de l'actrice. C'est peut-être en cela qu'Huppert est une grande actrice, dans sa manière de définir le jeu d'actrice comme quelque chose qui se meut, se métamorphose sans interruption et nous envoûte dans son perpétuel changement. Je crois que là se trouve le secret de son jeu : dans un devenir perpétuel et totalement imprévisible. On ne sait pas si elle sera douce ou dure, joyeuse ou cruelle, mais elle est par contre toujours innocente dans sa culpabilité, et c'est absolument magnifique dans le film. On la pensait femme, elle était en fait petite fille irresponsable, Fifi Brindacier.



Le secret magnifique de Douglas Sirk (1954)

Vu une première fois il y a quelques années dans de très mauvaises conditions (fichier de très mauvaise qualité, petit écran, sous-titres bancal). Je le revois, cette fois-ci proprement, et accompagnée d'une personne qui n'a jamais vu un Sirk et a qui je montre peut-être le Sirk qu'on aime une fois qu'on a vu les autres.
Sûrement le Sirk le plus excessif, le plus "difficile à avaler", le plus angoissé et peut-être le plus expérimental. C'est une grosse machine mélodramatique qui se nourrit exclusivement d'excès et d'invraisemblances et tente de transformer toute cette lourdeur scénaristique en pur or lacrymal. On se croirait dans une de ses expériences de pensée kantiennes qu'on trouve toujours trop pures, trop irréalistes pour pouvoir en appliquer les préceptes dans nos propres vies. Et comme chez Kant, dans Le Secret magnifique la morale dévoile sa part de folie. D'où l'artifice pur et absolu, d'où un film totalement mortifère parce que portant une forme, le mélodrame, à son degré le plus fou, à un état de quasi-putréfaction : le film est entièrement rongé par l'ombre. Comment faire du mélodrame après ça ?





14 août

The Big Knife
de Robert Aldrich (1955)


Je préfère vraiment la deuxième moitié de la filmographie d'Aldrich à la première. Encore trop surlignée, trop édifiante, trop consciemment dénonciatrice. The Big Knife, adaptée d'une pièce de Clifford Odets (dans mon souvenir c'est toujours mauvais signe) est tellement théâtral qu'il en devient complètement claustrophobique. C'est un peu le même problème que le George Stevens : une sorte d'académisme de la subversion et de l'amertume. Mais ce que j'aime toujours chez Aldrich, c'est ses angles obliques qui témoignent toujours d'une distorsion morale.






Jardins de pierre de Francis Ford Coppola (1987)


Je me souviens surtout d'Anjelica Huston sur le pas de sa porte, sinon je crois que j'avais beaucoup dormi devant le film, il n'y a que comme ça que je peux m'expliquer à moi-même le fait d'être passée devant l'un des meilleurs Coppola. En ce sens, il faudrait vraiment inverser le rapport entre les "grands films" de Coppola et sa veine intimiste, qui est en fait la plus répandue au sein de sa filmographie. Les "gros machins" sont l'exception.
Toujours cette impression donc, d'être devant un film imbibé et dégoulinant de sentiments, de liens affectifs, de personnages qui n'existent qu'en fonction de leur affection pour un autre personnage. Cela finit par créer un réseau très denses de sentiments, où un personnage se donne d'abord par le prisme de ses liens. Avant d'être lui-même, il est ce qu'il est pour les autres personnages : un fils, un ami, un mari, un frère. Je crois qu'un personnage coppolien qui désirerait vivre en dehors de tous liens affectifs serait voué à s'évaporer, comme le Motorcycle Boy. Ce sont peut-être des banalités qui fonctionnent pour n'importe quel cinéaste et je crois que c'est ce qui fait qu'il est toujours dur d'écrire sur les films de Coppola : on prend le risque de tomber dans des généralités un peu neuneu.
A cela s'ajoute la dimension totalement fordienne du film : les "soldats d'opérette" qui ne participent pas à la guerre de leur pays, humiliés d'être mis ainsi à la marge de l'Action et de l'Histoire, les rituels et cérémonies déréglés, l'Histoire racontée par le prisme d'une intimité bouleversée. Si Jardins de pierre est si beau c'est dans sa façon de nous démontrer qu'on peut donner l'idée de la guerre sans se contorsionner et sans jamais avoir à élargir ou à embrasser quelque chose qui serait plus grand, plus écrasant, plus important que l'intime. Il ne faut pas avoir autre chose que le sens du détail, que le sens de l'intime, et savoir le filmer, pour avoir le sens de l'Histoire.

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