lundi 30 décembre 2013

Splendor in the grass, Elia Kazan (1961)


« Quand on dit que la sexualité a une signification existentielle ou qu’elle exprime l’existence, on ne doit pas l’entendre comme si le drame sexuel n’était en dernière analyse qu’une manifestation ou un symptôme d’un drame existentiel. La même raison qui empêche de réduire l’existence au corps ou à la sexualité empêche aussi de « réduire » la sexualité à l’existence : c’est que l’existence n’est pas un ordre de faits (comme les « faits psychiques ») que l’on puisse réduire à d’autres ou auquel ils puissent se réduire, mais le milieu équivoque de leur communication, le point où leurs limites se brouillent, ou encore leur trame commune. Il n’est pas question de faire marcher l’homme « sur la tête ». Il faut sans aucun doute reconnaître que la pudeur, le désir, l’amour en général ont une signification métaphysique, c’est-à-dire qu’ils sont incompréhensibles si l’on traite l’homme comme une machine gouvernée par des lois naturelles, ou même comme un faisceau d’instincts, et qu’ils concernent l’homme comme conscience et comme liberté. »

"La sexualité, dit-on, est dramatique parce que nous y engageons toute notre vie personnelle. Mais justement pourquoi le faisons-nous ? Pourquoi notre corps est-il pour nous le miroir de tout notre être sinon parce qu'il est un moi naturel, un courant d'existence donnée, de sorte que nous ne savons jamais si les forces qui nous portent sont les siennes ou les nôtres - ou plutôt qu'elles ne sont jamais ni siennes ni nôtres entièrement. Il n'y a pas de dépassement de la sexualité comme il n'y a pas de sexualité fermée sur elle-même. Personne n'est sauvé et personne n'est perdu tout à fait."

Merleau-Ponty - Phénoménologie de la perception
Revu Splendor in the Grass d'Elia Kazan (la Fièvre dans le sang, 1961), que j'avais dû voir vers mes 17 ans. Il m'en restait la scène d'hystérie dans la baignoire et Barbara Loden en robe blanche entourée d'hommes. Aucun souvenir mémorable de l'histoire, si ce n'est que le film est venu se fondre avec les autres Kazan, sorte de pré-Scorsese : filmographie un peu grasse, peut-être celui qui incarne le mieux cet entre-deux esthétiquement impur des 60's, et pourtant La fièvre dans le sang est un film à revisiter tant son romantisme finit par prendre le pas sur le désenchantement.
Les sixties c'est, pour moi, l'époque désabusée des adaptations de Tennesse Williams (genre Richard Brooks), de la norme triste et des films qui la dénoncent : Reflets dans un oeil d'or (1967) de John Huston, Le Lauréat (1969) et Qui a peur de Virginia Woolf ? (1966) de Nichols, La poursuite impitoyable (1966) d'Arthur Penn, L'arrangement (1969) de Kazan, Le Chevalier des sables (1965) de Vincente Minnelli, L'homme à la peau de serpent (1959) de Richard Brooks. Ca n'est pas encore tout à fait le retour du refoulé, plutôt l'époque où le cadre oppresse et où le vent de la liberté tente de l'exploser, on conscientise le refoulé mais son retour n'est pas encore tout à fait consommé (si ce n'est peut-être chez Aldrich). Ce n'est qu'à moitié intéressant, cette conscience malheureuse du cinéma, ces couples qui s'embêtent et ces scènes à la sortie des églises. De ce genre-là Splendor in the grass n'en fait qu'à moitié partie, peut-être parce que réalisé en 1961, année où l'esprit du temps et du cinéma n'ont pas encore tout a fait changé. Le film dessine d'abord de fausses pistes et de fausses promesses à travers le personnage de la soeur jouée par Barbara Loden. C'est plus profondément un grand film où tout fleurit en romantisme, romantisme entièrement porté par la carrière de Natalie Wood et par ses rôles dans West Side Story et La fureur de vivre. Un jeu d'un autre temps, très expressionniste, fougueux, anachronique et suréel.



De fait, Splendor in the grass est porté par un seul et unique sujet apparemment limité : le sexe. La jeunesse trouve son idéal tout entier incarné dans le sexe mais non pas de façon décomplexée et un peu hippie, plutôt dans le fait que, plus la frustration grandit, plus on s'en sort par le romantisme.
Procédé comique, Kazan ne filme ses personnages que par le prisme de leur libido jusqu'à cette scène où même le médecin fait de l'oeil à son infirmière. Tout transpire le sexe, chacun de leurs dialogues étant dictés par lui - le film est en cela, comme tout teen-movie, d'abord une "comédie hormonale", un documentaire animalier.

Lorsque Beatty explique à son père qu'il ne veut pas faire Yale, qu'il se sent mal et ne tient plus, on comprend qu'il exprime son envie dévorante de coucher avec Deanie (Natalie Wood). Ambiguité de tous les gestes et de toutes les paroles, plus la frustration monte plus on promet à l'autre qu'il est toute sa vie et qu'on ne peut pas vivre sans lui. Sexe ou idéal de romantisme ? Le film n'a en cela aucune envie de résoudre l'ambiguité, en témoignent certaines scènes : Deanie à genoux aux pieds de son amoureux en signe de dévotion romantico-sexuelle, Deanie serrant très fort les coussins de son lit, indique qu'elle est au bord de se caresser. C'est tout un même mouvement que relance la deuxième partie du film, celle où, chacun des deux héros, séparés, pansent les plaies des désirs inassouvis qu'ils soient ou non sexuels - c'est un même mouvement vital qui a été entravé, corrompu et qui ne cesse de slalommer entre les obstacles jusqu'à trouver une issue qui tarde à venir, dans une maison de repos ou dans un ranch.
L'impression que le film ne parvient jamais à s'épuiser mais reste toujours sur un rythme émotionnel très soutenu tient au fait que l'intrigue est elle-même sublimée, que le documentaire sur les teenagers  surexcités finit par les métamorphoser en anges blessés qui atteignent une forme de sérénité dans le calme brûlant de leurs retrouvailles. Tout le romantisme du film ne découle que de cette énergie sexuelle frustrée, et qui ne dévalue pas pour autant la portée de ce romantisme, mais le respecte comme une forme légitime d'idéal juvénile : un corps qui n'irait pas sans son esprit, un esprit sans son corps, c'est de leur indiscernabilité, de leur intime liaison dont se réclament les sentiments de nos jeunes héros.

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