tag:blogger.com,1999:blog-57178914735045547882024-03-13T19:00:26.752-07:00the lost weekendMurielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.comBlogger37125tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-72301565776017168772020-01-18T13:57:00.001-08:002020-01-19T11:42:50.231-08:00Nous ne vieillirons plus ensemble - sur la vieillesse des actrices<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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<a href="https://1.bp.blogspot.com/-RexdrrS-4dY/XiN5asi2rgI/AAAAAAAAPaI/IBbse9GP2EIq2WloNr_p6VxtHNC5jd1AgCLcBGAsYHQ/s1600/bombshell-width_1094_height_546_x_112_y_3.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="630" data-original-width="1200" height="210" src="https://1.bp.blogspot.com/-RexdrrS-4dY/XiN5asi2rgI/AAAAAAAAPaI/IBbse9GP2EIq2WloNr_p6VxtHNC5jd1AgCLcBGAsYHQ/s400/bombshell-width_1094_height_546_x_112_y_3.png" width="400" /></a></div>
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La tristesse des visages des actrices américaines: Nicole Kidman, Charlize Theron, Renée Zellweger, pour ne citer que celles que je viens de croiser récemment dans <i>Scandale</i> et<i> Judy.</i> Difficile de décrire le carnage, pas toujours le même selon les visages: pommettes hautes et rigides, lèvres empêchées par d'invisibles fils, nez retroussé, figure totalement transformée et assumée comme telle (Zellweger)...les mots me manquent, mais c'est comme si toute expression naturelle était rappelée à l'ordre. Partout, c'est le même échec à se refuser au temps: on signale son passage en voulant le gommer. Souvent, au premier coup de bistouri, le spectateur salue la discrétion du résultat comme s'il s'agissait d'une performance d'actrice à part entière ("c'est bien fait!"). Plus les années passent plus cette performance ressemble à un masque boursouflé, un tombeau pour un visage (Kidman, Adjani).<br />
Vieillir au cinéma, accompagner le cinéma de son vieillissement comme tant d'actrices ont pu le faire il y a des décennies, tout ça n'est désormais plus possible pour les femmes, malgré le déni collectif face à des visages humains qui n'en sont plus. Je le dis autrement : nous n'assisterons presque plus au spectacle du vieillissement des femmes dans la fiction populaire. Sans doute le numérique a-t-il accru ce besoin de jeunesse : je me souviens du visage refait de Michelle Pfeiffer dans <i>Maléfique</i>, tentant et échouant à rejoindre le monde lisse et éthéré de la débauche d'effets numériques qui l'entouraient. Les visages sont astreints à cette nouvelle visibilité: le numérique n'est pas là pour constater des aspérités, des ridules, il se repaît de perfection, de surfaces lisses. L'oeil inspecte, ne trouve rien, aucun défaut, et s'en réjouit. Ce que la chirurgie n'a pas su gommer, la retouche numérique s'occupe de le faire disparaître (<i>Elle</i> de Paul Verhoeven, entre autres).</div>
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Nous ne saurons jamais comment Nicole Kidman viellit, ce film-là est perdu à jamais. Si Bette Davis avait été empêchée de vieillir, elle aurait été amputée d'une bonne moitié de sa filmographie. La filmographie d'un acteur, d'une actrice, c'est un récit qui fait passer du temps, qui raconte l'histoire d'un visage, d'un corps et de gestes qui se transforment, vont vers la mort et s'en amusent parfois. Kidman ne raconte plus rien d'elle-même depuis longtemps car elle n'est plus dans le temps. Pour moi, sa présence signale simplement une absence de Nicole Kidman.<br />
Que des actrices qui ont tant de pouvoir et se disent pour la plupart féministes ne soient pas en mesure de résister à cette pression dit bien à quel point la chirurgie esthétique n'est plus une option - mais une étape obligatoire, un rôle qui les attend toutes. Il suffit de regarder un peu la télé américaine, les chaînes info ou les émissions de "scripted reality" pour se rendre compte que ce masque est désormais devenu le canon américain (et un peu le nôtre) de la beauté féminine. Le signe non pas de la jeunesse retrouvée mais plutôt le signe qu'une femme fait l'effort de paraître encore jeune (et blonde et mince), et c'est cet effort qui est récompensé, vanté. La femme américaine porte sur elle, a même ses traits cette tentative d'échapper à la nature, peu importe que le résultat soit hideux, le seul fait qu'elle y mette du sien, qu'elle ne se laisse pas aller, est célébré. Le "relâchement" à tout point de vue, n'est pas une option. Il faut <i>s'arracher</i> à tout. Transforme-toi en tout ce que tu veux, mais ne vieillis pas.</div>
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<a href="https://1.bp.blogspot.com/-ocsYaY3ZCzo/XiN5aonWl8I/AAAAAAAAPaM/9UBhZAnWwqsbVkyFfbPMQNI1jrH9Q4ZLACLcBGAsYHQ/s1600/1403396.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="540" data-original-width="960" height="225" src="https://1.bp.blogspot.com/-ocsYaY3ZCzo/XiN5aonWl8I/AAAAAAAAPaM/9UBhZAnWwqsbVkyFfbPMQNI1jrH9Q4ZLACLcBGAsYHQ/s400/1403396.jpg" width="400" /></a><br />
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Cela a des conséquences sur la fiction, sur la variété des récits. Le problème peut être pris dans les deux sens : le manque de visages qui vieillissent produit la pénurie de fictions à leur hauteur, et inversement. Et ceci, évidemment, n'est qu'un problème d'actrice. Les hommes et les grands acteurs ont le droit à leur grande fresque sur la vieillesse, au <i>de-aging</i> plaisamment raté mais au moins temporaire. La vieillesse, comme thème, comme condition de l'acteur n'est plus le thème, la condition de l'actrice. Hollywood a créé pour elle autre chose, un espace et des fictions du déni, une zone aseptisée, un laboratoire où elles expérimentent sur elles-mêmes. Les films ne racontent plus que cela car c'est trop gros, ça prend toute la place et c'est fascinant, ce déni du vieillissement.<br />
<br />
Pour moi il n'est pas anodin que, comme <i>Touchez pas au Grisbi</i>,<i> The Irishman</i> soit un film sur l'amitié et le vieillissement. Comme si la possibilité du vieillissement était intimement liée à la possibilité de l'amitié, ou du moins à son exaltation, son intensification. Et les femmes ? A l'heure où la "sororité" devient, dans la fiction hollywoodienne et ailleurs, un thème à la mode (parfois traité de manière automatique et avec beaucoup d' opportunisme), il faudrait peut-être laisser les actrices vieillir, qu'elles se laissent aller à ça pour enfin devenir les soeurs qu'elles prétendent être dans la fiction. Laisser le temps passer sur soi c'est rejoindre un mouvement plus grand que soi, c'est forcément vieillir avec les autres. La volonté de rester jeune (et non pas "belle") signale toujours une compétition féminine généralisée qui est encore plus sensible à Hollywood, à des degrés dont on peine à prendre la mesure. <br />
<br />
C'est d'ailleurs toute l'hypocrisie de <i>Scandale</i> que de célébrer la sororité entre journalistes femmes face au méchant patriarcat (pour le dire vite) alors que les visages des actrices qui les incarnent disent tout le contraire : ces visages disent la compétition, la peur panique de vieillir, l'effort inhumain déployé pour ne pas devenir obsolète, l'envie triste et dévorante de retrouver ce bombé, cette débauche de collagène naturel que Margot Robbie, dans le film, expose comme une provocation. Le scénario Blanche-neige pulse sous les apparences d'une solidarité factice. Sous leurs airs figés, pleinement maîtrisés, les masques en disent toujours trop. Ce qu'ils pensaient contenir, ils ne cessent de le lâcher.</div>
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Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com22tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-12659579752321579172017-01-08T18:18:00.000-08:002017-01-09T08:09:44.510-08:00La Boîte à chat (Daddy's gone a-hunting) de Mark Robson (1969)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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<a href="https://1.bp.blogspot.com/-c5QQqwtRne4/WHO1plzxbmI/AAAAAAAADAQ/zTUZikH4YNsclKCA90A22DNQure4HdeJQCLcB/s1600/Daddy%252599s-Gone-A-Hunting-1969-Original-Movie-Poster-Thriller.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="315" src="https://1.bp.blogspot.com/-c5QQqwtRne4/WHO1plzxbmI/AAAAAAAADAQ/zTUZikH4YNsclKCA90A22DNQure4HdeJQCLcB/s400/Daddy%252599s-Gone-A-Hunting-1969-Original-Movie-Poster-Thriller.jpg" width="400" /></a></div>
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Mark Robson est un cinéaste extrêmement énigmatique, à la carrière scindée en deux : dans les années quarante il monte<i> la Féline </i>et <i>Vaudou</i> de Jacques Tourneur, réalise quelques très beaux films produits par Val Lewton, connus pour être le producteur d'une poignée de chefs-d'oeuvres du cinéma fantastique et horrifique à petit budget : <i>La septième victime, Bedlam, Isle of the dead</i>. Puis dans les années 50, comme un charme qui se rompt, Robson réalise des films comme <i>L'auberge du sixième bonheur</i> film familial pétri de bons sentiments avec Ingrid Bergman, ou encore les étranges <i>soap opera </i>cinématographiques que sont <i>Peyton place</i> ou <i>la Vallée des poupées</i>. Des films situés aux antipodes de sa première partie de carrière, comme si le Robson des années 50 avait tué celui des années 40.<br />
Devant <i>Daddy's gone a-hunting</i>, on se dit qu'on détient peut-être une synthèse parfaite qui conjugue le meilleur des deux Robson. A la fois ce côté extrêmement profane, parfois ingrat, de la série B qui ici frise le téléfilm, et puis, cette façon de composer avec (on devrait dire<i> grâce à</i>) de faibles moyens et un sens de l'économie un personnage véritablement inquiétant. Robson reconnecte ainsi le <i>soap opera</i> à l'esthétique Val Lewton. Le fantastique est là comme un horizon que le film ne fait que suggérer sans jamais vraiment le déployer, bien que <i>Daddy's gone a-hunting</i> semble être un remake inavoué de <i>La Féline </i>de Tourneur.<br />
<br />
Kenneth croise une femme dans la rue, pour attirer son attention il lui
jette une boule de neige dans les cheveux. L'histoire d'amour entre
Kenneth et Cathy commence sur une anecdote romantique et attendrissante
qu'ils pourront raconter à leurs enfants. Dans cette première scène magnifique se révèle déjà la folie de son personnage : son geste est charmant, romantique, mais aussi, quand on y réfléchit, absolument inquiétant. De loin, sa folie a du charme. Or tout ce qui composait sa séduisante excentricité se retourne peu à peu en cauchemar. Le couple coule des jours heureux dans un petit appartement que Cathy paye. Lui ne travaille pas et devient progressivement une charge pour Cathy qui l'enjoint à trouver du travail. Il devient agressif, bientôt insupportable, ne tolère pas que Cathy se donne le beau rôle et le considère comme un fainéant.<br />
Dans cette première partie qui dépeint la vie de ce jeune couple, il y autant de vitesse qu'il y a de justesse, des plans et des observations merveilleuses, d'autant plus audacieuses qu'elles sont filmées à la truelle. Comme ce chat qui regarde le couple faire l'amour, et qui annonce peut-être le véritable sujet du film. Robson nous montre très finement que ce qui faisait le bonheur d'un couple à ses débuts, peut très vite participer à son malheur. Le charme de la petite bohème conjugale ne peut durer qu'un temps, et doit obligatoirement s'embourgeoiser pour que le couple tienne encore.<br />
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Cathy est enceinte de Kenneth, mais elle le quitte. Kenneth trouve les résultats du test de grossesse de Cathy qui lui annonce qu'elle a avorté. Dans une scène magnifique Kenneth croise Cathy dans la rue, un plan le montre en train de pleurer, il lui dit à quel point il avait besoin de cet enfant. On comprend que peut-être cet enfant lui aurait permis de se bouger, de sortir de son apathie. Sa douleur est immense et sincère, on est, à ce moment-là, absolument de son côté. Sauf que Kenneth va plus loin : il considère que Cathy, en avortant, a assassiné son bébé.<br />
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<a href="https://assets.mubi.com/images/film/128655/image-w384.jpg?1447599986" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="225" src="https://assets.mubi.com/images/film/128655/image-w384.jpg?1447599986" width="400" /></a></div>
Cathy refait sa vie avec un homme riche aux ambitions politiques. Après la bohème des débuts, elle vit désormais une existence bourgeoise, tombe enceinte et accouche de son premier enfant. Un jour, dans un grand magasin, Cathy recroise Kenneth sous les traits d'un père noël : les enfants défilent et s'assoient sur ses genoux pour se faire prendre en photo. A partir de ce moment, Cathy verra Kenneth partout, on pense d'abord à des hallucinations, or il s'agit d'un harcèlement de plus en plus intrusif qui débouchera sur une violence inouïe : Kenneth veut obtenir réparation et mettra tout en place pour que Cathy tue de ses propres mains son enfant.<br />
<i><br />Daddy's gone a-hunting</i> reprend à <i>la Féline</i> l'idée qu'un film sur un personnage fou doit épouser son regard. Kenneth a beau être totalement psychotique, le film prend au sérieux sa douleur, son obsession, et le film est d'abord l'histoire d'un chagrin d'amour, d'une vie ratée, d'un mélodrame masculin : Kenneth assiste, impuissant, au bonheur de la femme qui a "tué" son bébé, convaincu qu'il devrait être à la place de son mari, convaincu que c'est lui qui devrait la rendre heureuse. Devant lui, il voit passer la vie qu'il aurait dû avoir si Cathy n'avait pas avorté. Sans comprendre que ce n'est pas l'avortement qui l'a fait passer à côté de sa vie, mais le fait qu'il soit trop instable pour prétendre à un tel bonheur bourgeois.<br />
Et toute la réussite du film tient à la finesse de ce regard que Robson pose sur le bonheur bourgeois de Cathy : il se révèle crispant (les scènes à la maternité où tous les parents sont gaga devant les bébés) dans ce qu'il a de prévisible, de reproductible à l'infini, ce qui rend la jalousie et la haine de Kenneth absolument justifiées, absolument compréhensibles pour nous. Robson va jusqu'au bout de la logique de son personnage, n'a pas peur de filmer depuis le regard d'un homme qui pense que l'avortement équivaut à un assassinat (le film est scénarisé par Larry Cohen qui était contre l'avortement). Il sait qu'un tel sujet recèle un vertige dont il serait absurde de se priver : celui de filmer le monde sain depuis le point de vue du fou. Devant un tel sujet, il faut absolument jouer avec le feu, et le film devient d'autant plus effrayant qu'il nous met du côté de Kenneth, un héros à la fois sauvage et électrique, calme et psychotique, un véritable méchant hitchcockien merveilleusement joué par Scott Hylands.<br />
<br />
<i> La Féline </i>était un film fantastique sur la peur de la sexualité féminine, et peut-être que <i>Daddy's gone a huntin</i>g n'est pas autre chose : un thriller sur un homme effrayé, choqué par la sexualité féminine d'une américaine des années soixante. Dans <i>la Féline</i> Simone Simon disait "j'envie les femmes heureuses" et comme <i>La Féline</i>, <i>Daddy's gone a hunting</i> dissimule un film sur la haine du bonheur, ou disons, sur ces personnes, ces <i>cat-people</i>, qui ne parviennent jamais à se glisser dans un bonheur tranquille et détruisent toute tentative d'être heureux. L'ambiguïté, dans ces deux films, reste entière et passionnante : soit ces héros sont trop instables pour être heureux, soit l'acception du bonheur qu'on leur propose leur semble indigne de ce qu'ils sont. </div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-35628993258813569362017-01-03T15:30:00.000-08:002017-01-03T15:30:16.211-08:00Right now, wrong then de Hong Sang-Soo (2016)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://static01.nyt.com/images/2016/06/24/arts/24RIGHTNOW/24RIGHTNOW-master768.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="223" src="https://static01.nyt.com/images/2016/06/24/arts/24RIGHTNOW/24RIGHTNOW-master768.jpg" width="400" /></a></div>
<i>J'ai écrit ce texte à l'occasion de la sortie de Right now, wrong then de Hong SangSoo, il était initialement rédigé pour le site de l'ACOR.</i><br />
<br />
<span id="goog_1251051465"></span><span id="goog_1251051466"></span><br />
<div id="1">
<div style="text-align: justify;">
Si un film a la faculté de désirer, de partir à la recherche
d'une image qui en deviendrait comme son aboutissement, les films de
Hong Sang-soo en viennent toujours à s'amasser autour de ce plan, de
cette formule, entendue précédemment dans <i>The Day he Arrives</i> (<i>Matins calmes à Séoul</i>, 2011) : « <i>une femme, un homme, de l'air</i> ».
Et s'ils la délaissent, ce n'est que pour un bref instant, comme une
interruption malvenue, car le désir de cette image est la chose la plus
impérieuse, autant pour le cinéaste que pour les héros eux-mêmes. Une
femme, un homme, de l'air, c'est plus qu'une formule, c'est en quelque
sorte un principe de mise en scène, le motif dans le tapis autour duquel
s'enroule toute l'œuvre de Hong Sang-soo, mais un motif qui avance à
visage découvert, à la surface, comme une évidence cristalline. On ne
compte plus, si tant est qu'on n'ait déjà compté un jour, ces plans où
un homme et une femme se tiennent dans le plan face à face, avec plus ou
moins d'espace entre leurs corps, puis enfin s'étreignent,
s'embrassent, après avoir longtemps discuté. A cet instant, ce qui
traverse le plan, c'est quelque chose comme le temps pur de la
rencontre, de la mise en contact de deux corps qui se sont trouvés par
hasard. Etape par étape, les corps (au sens où l'on parle de corps en
physique) se rapprochent par gradation. Ils parlent, ils boivent, ils
s'embrassent, ils font l'amour : c'est une loi scientifique, la loi de
la rencontre amoureuse.</div>
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La rencontre chez Hong Sang-soo c'est une mise en contact entre
deux êtres appartenant chacun à un monde différent, chacun étant pour
l'autre une sorte d'objet non identifié, de présence extra-terrestre,
d'altérité pure. Ce n'est pas qu'un détail si, souvent, au début du
film, les héros se retrouvent dans une ville qu'ils connaissent mal, car
l'autre est précisément comme une ville que l'on visite en touriste :
on y découvre ses habitudes, ses coutumes, ses croyances, sa tonalité et
sa lumière particulières. On l'arpente pendant un court instant,
parfois on peut décider de s'y installer mais c'est rare. Car la
rencontre chez Hong Sang-soo est toujours brève, les êtres sont de
passage et le temps est compté. La rencontre est ainsi d'autant plus
pure et belle qu'elle se sait limitée au moment même où elle commence.
Il faut vite se quitter avant qu'elle ne devienne autre chose qu'une
rencontre. <br />
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Dans <i>Right Now, Wrong Then</i>, Ham Cheon-soo (interprété par
Jae-yeong Jeong), réalisateur, vient passer quelques jours à Séoul pour
y présenter son dernier film programmé dans un petit festival de cinéma
local. Le réalisateur est arrivé un jour plus tôt, et c'est toujours à
l'intérieur de ce temps en trop qui est une vacance, un cadeau, que
prend place l'intrigue : au cours de sa flânerie l'homme rencontre Yoon
Hee-jeong (Min-hee Kim) une jeune peintre qui boit son lait à la banane,
assise non loin de lui dans la cour d'un temple. Hong Sang-soo la filme
comme une apparition magique : au détour d'un léger panoramique, la
jeune femme prend place dans le plan autant que dans le récit. C'est
d'ailleurs une des premières choses que dira le réalisateur à la jeune
femme : « <i>Qu'est-ce que vous faites là ?</i> », comme si celle-ci,
surgie de nulle part, était apparue à la faveur d'un souhait intime,
d'un désir enfoui de fiction que l'homme s'énonce à lui-même, comme si
l'ennui chez Hong Sang-soo, était le principal moteur du désir et donc
du film – l'intrigue commence au moment où l'on est intrigué.<br />
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Entre eux s'entame un échange, que l'on peut trouver très plat
car il s'agit d'un mélange de bavardage et de politesses d'usage, toutes
ces phrases qu'on dit sans dire, et qui ne sont là que pour témoigner
souterrainement d'un intérêt plus vif, plus brut, mais qui doit se
dissimuler encore un peu. Il faut toujours avancer vers l'autre à pas
feutrés et les personnages ne sont jamais exempts d'esprit stratégique
qui implique autant de réussites que d'échecs ; c'est dans ces aléas de
la rencontre que se situe tout l'humour du film. Comment agit cette
parole ? Disons qu'elle incarne adéquatement ce qu'on appelle la
fonction phatique de la parole : aucune information n'est émise (sinon
la reconnaissance), on s'assure simplement que la communication passe
bien. Le linguiste Roman Jacobson définissait ainsi cette fonction,
comme étant « <i>la tendance à communiquer (qui) précède la capacité d'émettre ou de recevoir des messages porteurs d'information </i>».
C'est un pur contact et si aucune information d'envergure n'est
transmise, c'est bien que le plus important est toujours déjà dit dans
la simple adresse : ça parle, ça communique et tout ça parce que ça
désire. On comprend à partir de là l'importance du plan-séquence chez le
réalisateur et l'utilisation quasiment proscrite du champ-contrechamp
qui vaut comme interdiction de trancher dans ce contact, de taillader la
peau du plan : si l'on filme deux personnes ou plus en train de parler,
il faut absolument qu'elles s'insèrent dans le même plan. Il faut
filmer l'air entre les corps, car c'est entre les corps, dans cette
matière chaude et invisible, dans ce lieu de l'adresse où tout remue,
que son cinéma se joue. Le plan est ainsi toujours construit de manière
très organique, on a le sentiment que sa fixité relève de son
autosuffisance, que l'air et la lumière y sont palpables, comme une
certaine quantité de matière qui serait enfermée dedans, remuant et se
réchauffant progressivement au fur et à mesure que l'on apprend à se
connaître.<br />
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Pourtant ce serait mentir que de dire que l'homme et la femme sont toujours ensemble dans le plan, dans <i>Right Now, Wrong Then</i>,
le réalisateur fait quelque chose d'assez inédit, qui, de mémoire, n'a
encore jamais été aperçu dans son cinéma. Nous sommes dans l'atelier de
la jeune peintre qui désire montrer son travail à son nouvel ami de
passage. Le premier plan dans l'atelier nous la montre de dos, tandis
que le réalisateur se tient hors champ et lui répond : elle n'a plus de
café mais elle peut descendre en acheter, il la convainc que ça n'est
pas grave, il prendra du thé – encore l'importance des politesses
d'usage. Le plan est fixe et il dure, scrutant le dos de la jeune femme.
D'un seul coup, Hong Sang-soo expérimente quelque chose, une nouvelle
manière de filmer un échange, et dans l'économie très familière de son
cinéma, cela fait figure de petit vertige parce qu'il n'a jamais filmé
une héroïne comme ça, dans l'intimité de son atelier, en se posant
simplement derrière elle. Ce n'est peut-être rien mais d'un seul coup,
une infime variation est appréciée comme une révolution, comme un
chamboulement de la syntaxe. Tout le film d'ailleurs travaille très
méticuleusement la gestion des regards : que cela soit celui de l'homme
sur la femme (surtout), des deux héros sur les œuvres de la jeune
peintre, de la femme sur l'œuvre de l'homme, du cinéaste sur ses
personnages, Hong Sang-soo orchestre cette circulation à l'intérieur de
laquelle la femme se définit toujours comme un être-regardé, un être
dont le constat de la présence relève de la stupéfaction oculaire. Il y a
ce plan, dans le « deuxième film », où elle se trouve de profil en
train de regarder son tableau, tandis que l'homme, filmé de face, la
regarde.
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Cela peut s'expliquer par le fait que Hong Sang-soo est un cinéaste
de l'altérité sexuelle : ceci n'est pas seulement un présupposé de son
cinéma, mais également un motif de son œuvre. Et cette différence
sexuelle il ne faut pas la comprendre mal : il ne s'agit pas d'attribuer
des qualités inamovibles à chacun des deux sexes, de dire que les
femmes sont ceci et les hommes cela. C'est quelque chose d'un peu plus
secret et pudique qui découle de son scepticisme, une façon pour le
cinéaste de dire qu'en tant qu'homme il ne peut pas parler pour les
femmes, il peut simplement leur tourner autour, filmer cette autre
moitié du monde depuis sa rive à lui. Si les femmes paraissent toujours
un peu moins piteuses que les hommes, c'est qu'il y a peut-être dans ses
personnages féminins, davantage d'hypothèses rêveuses que de savoir.
C'est ce qui le rapproche profondément d'un cinéaste comme Philippe
Garrel. Comme lui, il fait partie de ces cinéastes qui ne prétendent pas
faire autre chose que de parler pour eux, depuis une position très
restreinte et localisée. Dès lors, parler des femmes, les filmer, c'est
se prononcer sur une chose qu'on ne connaît pas tout à fait, ou du moins
qu'on n'appréhende pas sur le mode du savoir, plutôt sur celui de
l'ignorance curieuse. Ce n'est pas non plus affirmer une sorte d'éternel
féminin mais tout le contraire, une attitude de scepticisme
philosophique : tourner autour d'un inconnaissable en refusant de se
prononcer dessus – on repense au dernier plan de <i>Sunhi</i> où les trois héros tournent autour d'un temple comme s'il s'agissait de Sunhi elle-même.
<br />
<br />
Comme Garrel, Hong Sang-soo est peut-être à ranger du côté de ces
cinéastes sans imagination, mais compris dans le bon sens du terme : il
lui suffit de creuser toujours les mêmes situations, d'arpenter le même
petit chemin de telle sorte qu'il y trouve encore quelque chose à en
dire, à y glaner, encore quelque chose à filmer différemment. C'est un
art de la combinatoire où ce que l'on croit être le même produit de la
différence, et inversement. Rien ne s'épuise jamais dans un monde de
combinaisons infinies, sinon cela ferait longtemps que Hong Sang-soo se
serait déterritorialisé, aurait fait des films très différents : des
drames familiaux, des récits tragiques, des biopics, des adaptations de
roman. Mais sa sidérante capacité à toujours faire le même film, en
apparence, vaut comme un pied de nez d'une incroyable malice, un art du
bégaiement à un âge où les cinéastes prennent toujours le contrepied de
leur film précédent et rêvent d'éclectisme improbable. Se poser la
question de ce qu'un cinéaste s'abstient de faire permet de révéler tout
l'intérêt et la beauté du cinéma de Hong Sang-soo.<br />
<div class="conteiner">
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</div>
</div>
<div id="7" style="text-align: justify;">
Reste le mystère d'un film coupé en deux, qui nous raconte quasiment
la même chose, mais différemment. Ce n'est pas la première fois que
Hong Sang-soo s'essaye à ce procédé de « film brisé » que l'on retrouve
sous diverses formes toutes aussi mystérieuses les unes que les autres :
<i>La vierge mise à nu par ses prétendants</i> et plus récemment <i>The Day he Arrives</i>.
Le réalisateur se joue de nos habitudes de spectateur averti qui
cherche sans cesse à établir des connexions et des comparaisons, qui
souhaite tout comprendre et tout interpréter. Le cinéaste veut dénouer
ces mécanismes en les rendant inopérants, en nous tirant par la manche
vers toujours plus de simplicité. Le fait que le film raconte de deux
manières différentes une même rencontre est évidemment de l'ordre de
l'expérimentation pure, mais il ne faut pas y chercher une sorte de
théorie, la clé se trouve à la surface, dans ce que nous voyons et dans
l'effet perturbant que cette répétition produit en nous. D'une version à
l'autre, quelques petits ajustements, une réplique qui saute, un
dialogue complètement différent, un peu moins d'enthousiasme ici, un peu
plus par là, la jeune peintre boit dans le premier film et pas dans le
deuxième, dans le premier film l'homme s'enthousiasme pour sa peinture,
dans le deuxième il émet des critiques. On peut évidemment penser à <i>Smoking / No Smoking</i>
ou encore à la place de choix que possède le hasard dans l'œuvre d'Eric
Rohmer et pourtant rien de déterminant ne change le cours de la
rencontre, c'est toujours un peu pareil. Comme ces cinéastes, Hong
Sang-soo a toujours ménagé beaucoup de place au hasard et à l'aléatoire
jusqu'à en faire un personnage à part entière : il n'y a pas qu'un
homme, une femme et de l'air dans le plan, il y a aussi cette force
invisible et malicieuse, cette loi qui voyage incognito, comme l'énonce
un proverbe arabe, et qui actionne la rencontre avant de lui donner
forme. Hong Sang-soo nous dit quelque chose de très simple : il arrive
que nous sous-estimions parfois son influence, mais on peut aussi la
surestimer. Le hasard n'est pas qu'une grande affaire, c'est aussi une
petite histoire qui tourne sur elle-même sans but. Elle peut être à
l'origine d'une rencontre décisive comme d'une coïncidence dérisoire.
<br />
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<div id="8" style="text-align: justify;">
Qu'est-ce qui lie donc ces deux films ? Sont-ils les deux versions
d'une même série de faits ? La version de l'homme suivie de celle de la
femme ? Sur nous, le deuxième film fait l'effet d'être la carte
imprécise d'un territoire déjà arpenté, ou alors la répétition
cauchemardesque et amnésique d'une même situation. Un film se superpose à
l'autre, et trace les contours de leurs dissemblances. Le premier
serait alors le réel, et le deuxième sa version ? Ou alors, autre
hypothèse énoncée à l'aune d'une filmographie : il n'y a, chez Hong
Sang-soo, que des versions, jamais de réalité, des apparences tenues par
aucune substance et tout s'écrit et se filme sur fond de ce deuil-là.
Puisque tout n'est jamais que version, l'essence même de la réalité se
confond alors avec celle du cinéma. Un rapport au réel, c'est toujours
déjà un film.
<br />
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<div style="text-align: justify;">
Si tout est aléatoire et relatif, la rencontre est une certitude banale et précieuse. Comme le disait le héros de <i>The Day he Arrives</i>,
chacun donne à l'autre quelque chose d'infime qu'il peut garder : un
puissant souvenir, une série de conseils, le souhait d'une vie heureuse.
En cela, l'un des derniers plans de <i>Right Now, Wrong Then</i>
résonne comme une petite musique triste et pudique : la jeune femme,
lovée dans son fauteuil de cinéma, regarde le nouveau film de son ami
d'un jour qui vient la saluer une dernière fois tandis que le fil
commence, retentit alors une musique reconnaissable, ressemblant à celle
de Jeong Yong-Jin, fidèle compositeur des films du cinéaste.
Hong Sang-soo a toujours joué de ce fossé aberrant qui sépare le moi
créateur du moi social. Son cinéma vaut également comme sociologie d'un
milieu où les artistes, loin de tout fantasme, sont dépeints comme de
grands enfants perdus. Ces portraits valent comme discours sur l'art :
aussi noble et adulte soit-il, l'art puise toujours directement dans
cette part d'enfance. Ce fossé concerne également ce que l'on apprend
d'une personne en la côtoyant et ce que l'on apprend d'elle en côtoyant
ses œuvres : la jeune femme et son atelier, l'homme et son film. La
vérité d'un être semble se trouver dans une zone indécidable entre cette
part adulte et cette part d'enfance. La jeune femme assiste à la
projection du film de son nouvel ami et c'est tout simplement la
rencontre entre les deux héros qui se poursuit dans d'autres termes, une
nouvelle modalité de connaissance et de rapport à l'autre qui apparaît.
« <i>A partir de maintenant j'irai voir tous tes films</i> » dit-elle
sagement au réalisateur, et cela résonne comme un peu de baume au cœur
au moment où il faut se séparer. Même si la rencontre fut brève, chacun
aura eu l'occasion de se reposer dans le sillage de l'autre, de se
réchauffer au feu de son intimité, suffisamment pour qu'il reste en
mémoire quelque chose comme l'empreinte d'un rêve.
</div>
<br /></div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-11404262299466149132016-11-06T15:42:00.001-08:002016-11-07T19:16:33.166-08:00Capra : de plusieurs, un<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div style="text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-llQbSibC8kM/WB-7oqvQsEI/AAAAAAAAC88/sBjwCi4M0-kONc69aMenXEb8ubaKKLKZACLcB/s1600/vlcsnap-2016-11-06-00h01m27s259.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="291" src="https://3.bp.blogspot.com/-llQbSibC8kM/WB-7oqvQsEI/AAAAAAAAC88/sBjwCi4M0-kONc69aMenXEb8ubaKKLKZACLcB/s400/vlcsnap-2016-11-06-00h01m27s259.png" width="400" /></a></div>
<br />
<br />
Vu <i>Meet John Doe</i>, revu <i>Vous ne l'emporterez pas avec vous</i>, et découvert le sublime woman's picture <i>Forbidden</i><br />
<br />
Découvrir le cinéma américain, c'est d'abord découvrir Capra, <i>La vie est belle, Mr Smith au Sénat</i>,
puis le mettre de côté pour découvrir des cinéastes plus "complexes" :
Ford, Lang, Preminger, par exemple. Il devient un de ces cinéastes aux
films lointains, qu'on ne revoit pas mais dont on garde le goût. On
préfère des cinéastes plus subtils à son manichéisme, son "populisme",
sa lutte des classes façon
Walt Disney. On le délaisse comme on délaisse l'alphabet pour apprendre à
faire des phrases, puis on y revient et on finit par
l'aimer grâce à tout ce qu'on a découvert du cinéma américain.<br />
Mais
j'ai
l'impression que Capra reste quand même à part : là où l'on décèle une
certaine tranquillité du style chez les grands maîtres hollywoodiens,
une sorte d'élégante placidité, c'est plutôt une sorte d'électricité que
révèlent les films de Capra, un enthousiasme littéralement débordant,
dégoulinant, qui confère à son style sa célérité, son enthousiasme. Les
grands maîtres hollywoodiens sont des "sages" effacés, Capra un
homme-enfant qui ne cesse de mettre en scène ce qu'a été sa propre
histoire, comme si ses films rejouaient inlassablement un sentiment
autobiographique, le sentiment d'une ascension.<br />
<br />
Cette ascension correspond à son enthousiasme qui rime chez lui avec célérité : le style s'accélère, les
fondus enchaînés se déchaînent, on sent la montée d'euphorie. Et puis
les périodes d'accalmie, les "dépressions". Il faut alors parler, le
montage ne suffit plus : ce sera les longues tirades qui elles-mêmes
aboutiront à des montées d'euphorie. C'est par la rhétorique au service de la
vérité qu'on réveille tout un peuple, et qu'on relance tout un film. <br />
<br />
Les
films de Capra suivent une ligne sinusoïdale, voire cyclothymique,
celle d'un enthousiasme chevillé au corps, celui de Capra, qui cherche à
se faire peur, qui parcourt un chemin pavé d'embûches sans jamais perdre de vue son optimisme ontologique. Ce qui produit
une sorte d'expressionnisme lové à l'intérieur même du récit, du montage
et de la narration. La lutte entre l'ombre et la lumière n'a rien
d'abstrait, elle recoupe la lutte des classes. Les mines renfrognés des
milliardaires corrompus, contre l'allure dégingandée, aérienne, et les
visages épanouis des gens du peuple.<br />
Rapacité d'une classe
corrompue, contre profusion du peuple, "flux de peuple" qui dégouline
généreusement du film. Peut-être que toutes ses histoires ne servent
qu'à ça : à littéralement donner forme au peuple, même si cela veut
dire, la faire émerger d'un contraste un peu trop manichéen. Il y a
ainsi des plans magnifiques sur des visages d'inconnus, dont on sent
que, même si le plan ne dure quelques secondes, il importe à Capra que
chaque visage y soit bien apparent, bien visible. Flux de peuple qui
afflue toujours à la surface du film, comme quelque chose d'impossible à
contenir. Non pas quelque chose d'encombrant, mais quelque chose avec
lequel il va falloir composer, une entité qui oblige, qui confère des
devoirs, qu'on ne peut pas nier et qu'il faut regarder en face. Que les
visages se distinguent, cela permet à Capra de ne pas
s'abandonner à filmer l'inquiétante psychologie des foules (le peuple
n'est foule que lorsqu'il est en colère) mais plutôt la sensibilité du
peuple. Le peuple, c'est quand dans la foule, on distingue les visages.
Et l'anonymat de ces visages leur confère toute leur dignité.</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-5A2Yqn3Fwg8/WB-zFgzO2gI/AAAAAAAAC8c/3NcZh7uP6qoe5tHK3NfWQNKXSssAEy2_gCLcB/s1600/vlcsnap-2016-11-06-23h28m59s792.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="233" src="https://4.bp.blogspot.com/-5A2Yqn3Fwg8/WB-zFgzO2gI/AAAAAAAAC8c/3NcZh7uP6qoe5tHK3NfWQNKXSssAEy2_gCLcB/s320/vlcsnap-2016-11-06-23h28m59s792.png" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-Xj-_i2OuKKw/WB-y686ZbfI/AAAAAAAAC8U/smfCGDVEVpkoYzu8M1EBAIaLFCzxHeWzQCLcB/s1600/vlcsnap-2016-11-06-23h29m06s542.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="233" src="https://1.bp.blogspot.com/-Xj-_i2OuKKw/WB-y686ZbfI/AAAAAAAAC8U/smfCGDVEVpkoYzu8M1EBAIaLFCzxHeWzQCLcB/s320/vlcsnap-2016-11-06-23h29m06s542.png" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-spEmKTt63HU/WB-zAiWtCXI/AAAAAAAAC8Y/bWeWpD4LPqYi75t7L7vCnjGLsPuCM5bkQCLcB/s1600/vlcsnap-2016-11-06-23h39m37s018.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="247" src="https://1.bp.blogspot.com/-spEmKTt63HU/WB-zAiWtCXI/AAAAAAAAC8Y/bWeWpD4LPqYi75t7L7vCnjGLsPuCM5bkQCLcB/s320/vlcsnap-2016-11-06-23h39m37s018.png" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-3WJLvmoFv10/WB-zKRYgAMI/AAAAAAAAC8g/7TwSwSC98WUKvEM6YiQ45i29JWhf8TU9wCLcB/s1600/vlcsnap-2016-11-06-23h40m03s705.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="247" src="https://2.bp.blogspot.com/-3WJLvmoFv10/WB-zKRYgAMI/AAAAAAAAC8g/7TwSwSC98WUKvEM6YiQ45i29JWhf8TU9wCLcB/s320/vlcsnap-2016-11-06-23h40m03s705.png" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-IunefTw96ps/WB-zQT0Ip3I/AAAAAAAAC8k/bLnfhOBjyqwOY8tKIKNkfzw9ULiAq1heACLcB/s1600/vlcsnap-2016-11-06-23h40m19s609.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="247" src="https://4.bp.blogspot.com/-IunefTw96ps/WB-zQT0Ip3I/AAAAAAAAC8k/bLnfhOBjyqwOY8tKIKNkfzw9ULiAq1heACLcB/s320/vlcsnap-2016-11-06-23h40m19s609.png" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-4QSL2VIO8a0/WB-zdwZI71I/AAAAAAAAC8o/nTCmAplGJSAjJPl7OuhwP60NvVERbS0qACLcB/s1600/vlcsnap-2016-11-06-23h27m18s528.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="233" src="https://1.bp.blogspot.com/-4QSL2VIO8a0/WB-zdwZI71I/AAAAAAAAC8o/nTCmAplGJSAjJPl7OuhwP60NvVERbS0qACLcB/s320/vlcsnap-2016-11-06-23h27m18s528.png" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/--xbVUfu4hUs/WB-zj9hkBBI/AAAAAAAAC8s/Fqbwxm_9eHslUFF5m_fWYg03nLx66WWtgCLcB/s1600/vlcsnap-2016-11-06-23h28m30s789.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="233" src="https://3.bp.blogspot.com/--xbVUfu4hUs/WB-zj9hkBBI/AAAAAAAAC8s/Fqbwxm_9eHslUFF5m_fWYg03nLx66WWtgCLcB/s320/vlcsnap-2016-11-06-23h28m30s789.png" width="320" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
<br />
D'où "John Doe", ou dans <i>Forbidden</i>,
"Jane Doe" : le nom des sans-noms, des anonymes, nom qui peut
finalement contenir tous les noms, nom qui ne nomme pas un seul, mais
tout le monde. Tout le contraire du nom qui désigne : un nom inclusif,
qui accueille tout le monde. John Doe c'est le nom idéal de l'Amérique.
Dès lors Stewart et Cooper ne sont pas des chefs charismatiques, mais
les visages et les noms du peuple, comme pouvait l'être à la même
époque Gabin. On filme leur visage pour filmer une idée, pour contenir
une multitude dans un visage. Et la multitude n'est jamais loin, elle
dégouline des prisons, des stades, des tribunaux, des rues; elle est
partout chez elle. <br />
On découvre les films de Capra, on les oublie,
on y revient, mais on sait qu'il est le cinéaste qui nous aura donné le
plus intuitivement, le plus limpidement, le plus simplement donc le
plus naïvement, le sentiment sans mélange de l'idéal démocratique :
lorsque l'image d'un visage coïncide avec l'image d'une multitude,
lorsqu'un visage représente (au sens littéral et politique) une
multitude. C'était d'ailleurs le sens de la devise américaine, avant
qu'elle ne soit remplacée par "In God We Trust" :<i> E pluribus unum</i>
: "de plusieurs, un" ou encore "un seul à partir de plusieurs". On a pu
croire Capra simpliste, son cinéma se pare en fait de l'éclatante
simplicité d'une devise.</div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-68254969709000368752016-10-29T09:14:00.000-07:002016-10-31T03:26:14.211-07:00Amorale, par amour du goût<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div align="JUSTIFY">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-RWeYxwABabo/WBXxjI1neyI/AAAAAAAAC7o/hmH5g3ZXYBcvvHOQhEhHOep0gWRukqHsgCLcB/s1600/image.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="211" src="https://2.bp.blogspot.com/-RWeYxwABabo/WBXxjI1neyI/AAAAAAAAC7o/hmH5g3ZXYBcvvHOQhEhHOep0gWRukqHsgCLcB/s400/image.jpg" width="400" /></a></div>
<br />
<br />
Je suis tellement quelqu'un de l'écrit que
lorsque j'interviens oralement en compagnie d'autres critiques ou
intervenants je me sens mal. Mal d'avoir mal dit, mal résumé le
fond de ma pensée, là où l'écrit est un travail d'orfèvrerie.
Mal aussi de constater que ma subjectivité n'est pas reine, mais se
doit de dialoguer, de respecter les avis contraires, mais également
les avis qui me sont insupportables. Je crois que le plus dur c'est
de se retrouver en face de ceux avec qui vous n'êtes
fondamentalement pas d'accord, de voir que votre point de vue ne les
blesse pas autant que le leur vous blesse. Je mets toujours un
certain temps à digérer une confrontation. Je crois que j'ai tout
fait dans ma vie pour être le moins entourée lorsqu'il s'agit de
travailler. Je me félicite tous les jours d'y être arrivée, tout
en sachant que cela cache forcément une névrose.</div>
<div align="JUSTIFY">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY">
Sachant cela, j'ai quand même accepté d'intervenir
à une table ronde à la Fémis sur le thème très large du genre au
cinéma. Je pensais que l'exercice allait être amusant mais en en
sortant un profond malaise s'est emparé de moi. D'abord parce que
j'avais peut-être tenu des propos un peu violents, et que je ne
tiens jamais des propos violents sans que cette violence ne se
retourne contre moi. L'impression que mes propos à l'écrit auraient été davantage nuancés, au lieu de quoi il fallait sortir
l'artillerie lourde. De plus, émettre des jugements négatifs à propos d'un film ou du cinéma français dans un tel contexte vous donne l'étrange sentiment de gâcher un peu la fête, c'est quelque chose que j'ai pu constater dans d'autres contextes (cf. Le Cercle), où ne pas aimer tous les films qui sortent chaque mercredi relève uniquement d'une sorte de mauvaise humeur passagère, son exigence est vécue comme un truc de peine-à-jouir. Et puis, je me suis rendue compte que cinq ans de
critique m'ont rendue tout à fait dogmatique, au sens où
aujourd'hui je peux commencer des phrases par "le cinéma
doit...", "le cinéma ne doit pas..." sans que cela me
pose problème. Un réalisateur présent à la table ronde a signifié
que j'étais dogmatique. Là où je ne vois qu'une seule chose : une
prise au sérieux certainement excessive pour ce que j'estime être
la guerre du goût et l'affirmation déplaisante de ma subjectivité.</div>
<div align="JUSTIFY">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY">
Et tout au long de cette table ronde, j'ai
simplement eu l'impression qu'on ne pouvait plus supporter
l'affirmation d'une subjectivité, aussi discutable soit-elle, parce
que celle-ci pouvait menacer quelque chose comme une sorte de
bienséance qui empêche selon moi l'exercice critique.</div>
<div align="JUSTIFY">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY">
Cela a commencé avec mon entrée dans la salle, et
un débat entre Laura Mulvey et Ginette Vincendeau. Cette dernière
tentait d'expliquer par a + b à quel point Elle de Verhoeven était
un film misogyne, un film sur "la haine des hommes pour une
femme qui détient le pouvoir". Assise sur les marches, j'ai
envie de tout casser, heureusement un étudiant prend la parole et
lui dit ce que j'aurais pu lui dire moins poliment. Mon problème
dans ce cas précis, c'est que je ne tolère absolument pas que l'on
pense cela du film. Je ne tolère absolument pas que dans ce cas
précis, tout soit relatif, et que le film, au gré des sensibilités,
apparaisse comme étant tantôt misogyne, tantôt féministe. Cela
m'agresse profondément, me blesse dans ma chair. L'idée qu'on ne
puisse pas établir la défaite de ceux qui y voient un film misogyne, et
que le débat se termine comme il avait commencé : <i>tout est
relatif, chacun ses goûts. </i>Ce fut la première blessure de la
journée.</div>
<div align="JUSTIFY">
<br />
La deuxième, c'est la réaction d'une étudiante
parlant de <i>Bande de filles </i>il me semble, et qui n'avait à la bouche
que cette phrase <i>"ça reste quand même un film qui
questionne le genre et ça n'arrive pas souvent</i>". Dans le
ton de la voix de cette fille, l'impression réelle que ce n'était
pas elle qui parlait, mais une sorte de prêt-à-parler qu'elle
recrachait sans savoir ce que cela voulait dire. <br />
<br />
Pourquoi
ce genre d'interventions m'exaspèrent autant alors qu'elles semblent
venir d'une profonde demande de la part de certains spectateurs ?
Pourquoi cela me rend dingue ? Parce que je ne vois pas l'histoire du
cinéma comme quelque chose de téléologique qui s'acheminerait
progressivement vers un progrès de la représentation. Mais que tout
grand film fait à lui tout seul la trajectoire entière de ce
soi-disant progrès. Il y a évidemment des censures, des tabous, des
interdictions et des préjugés qui tombent au fil des décennies,
mais tout grand film s'y arrache déjà, subvertit déjà l'esprit de
son temps. Et c'est même sa définition, un grand film c'est ce qui ne se réduit pas à être uniquement le produit de son époque (exemple de mauvais film pur produit de son époque : <i>Les Nuits Fauves</i>). D'un point de vue des
représentations, l'image de Maureen O'Hara lavant le linge de son mari dans<i>
Rio Grande</i> est plus arriérée qu'un épisode de la série <i>Girls.</i>
D'un point de vue esthétique, Maureen O'Hara fait oublier n'importe
quel épisode de cette série.</div>
<div align="JUSTIFY">
<br />
<br /></div>
<div align="JUSTIFY">
L'auditoire était nuancé, certains étaient
offusqués par mes propos, d'autres avaient l'air d’acquiescer, mais
j'ai eu le sentiment, après, qu'il y avait eu un malentendu sur la
table ronde. Nous n'étions pas là pour parler d'oeuvres mais de
représentations de minorité, de stéréotypes de genres, etc. Et
j'ai compris pendant le fil de la discussion à quel point cela
n'était pas mon sujet, à quel point ma discipline était, selon
moi, parfaitement amorale du point de vue du contenu, parfaitement
morale du point de vue de la forme. Je ne suis pas là pour
surveiller si le cinéma français recense bien toutes ses minorités
: je suis là pour voir si elles sont bien filmées. Et c'est une
différence énorme. Objectivité de la statistique, subjectivité du goût. Je ne suis pas là pour constater à quel point
le cinéma français est "hétéronormé", mais pour voir
si une relation conjugale sonne juste à l'écran. Je ne défendrai
jamais un film au prétexte, qu'enfin il filme un couple lesbien si
celui-ci est mal filmé. Et j'ai l'impression que parfois certains
applaudissent un film uniquement sur son sujet. Pire même : ces
films se<i> font </i>sur leur sujet. Et le sujet, ce truc que Renoir
haïssait, s'il est trop sacralisé, fait absolument reculer
l'imaginaire et la mise en scène. </div>
<div align="JUSTIFY">
<br />
La seule question de la représentation n'est
pas mon sujet (si cette question n'implique pas des questions de
formes) parce que le sujet du critique ce sont les oeuvres, le goût et sa guerre.</div>
<div align="JUSTIFY">
<br />
Dire cela, c'est, je crois, d'abord dire une
banalité, mais aussi affirmer qu'il existera toujours pour le
critique consciencieux, une lutte entre sa subjectivité et l'esprit
du temps. Cela veut dire qu'il pourra avoir tort contre l'air du
temps, mais qu'avoir tort dans ce cas précis est pour lui une façon
de protéger absolument sa subjectivité, qui compte plus que son
obédience à l'esprit du temps.</div>
<div align="JUSTIFY">
<br />
A la fin du débat, une étudiante
particulièrement affligée a pris la parole pour se plaindre :
pendant la totalité de la journée elle avait entendu les
transgenres qualifiés par des termes impropres tels que
"transsexuels" ou encore "homme-femme". Dans un
grand élan d'indignation, elle s'en prenait à tous les
organisateurs qui avaient passé la journée à injurier une
minorité. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui répondre, un peu
agressivement, en oubliant qu'elle était l'étudiante et moi dans
une position d'autorité. Je crois qu'à ce moment précis je n'ai pas pu me contenir face à ce qui était pour moi le babillage d'une maniaque de la terminologie se donnant en
spectacle. Me sentant agressée, je lui réponds agressivement.
Limites de l'oral, où si vous n'êtes pas doué, vous en êtes
réduit par votre propre faute à une caricature de vous-même. Où
votre agressivité guide votre rationalité. Cette intervention
s'enchaînait parfaitement avec ce que j'avais pu entendre sur le
Verhoeven : oui cette fille avait raison, les mots ont leur
importance, mais on ne violente personne à utiliser le mauvais mot,
en n'étant pas, comme elle semblait l'être, toujours au fait des
dernières terminologies. Drôle d'énergumène de plus en plus fréquent dans les salles de cinéma et de débat, et qui vous fait comprendre que vous n'êtes pas loin de tenir des propos fascistes. Service d'hygiène de la pensée qui vous indique du doigt les coins mal nettoyés de votre discours.<br />
<br />
A la fin, je ne me sentais pas
persécutée, la discussion avait été amicale mais le malaise ne
passait pas. Et cela ne devait pas être étranger au fait que je me
trouvais à la Fémis, que le modérateur avait bien pris la peine de
s'extasier des diplômes de tous les intervenants (« beaucoup de
diplômés ! ») tandis que je n'étais qu'une simple critique
entourée d'étudiants qui feront du cinéma aidés de leur diplôme. J'avais envie de m'excuser,
de me justifier, de me bagarrer. Alors qu'ils étaient certainement
minoritaires, je me sentais comme entourée par des gants blancs qui
ne rêvent que d'une seule chose : qu'on décrotte, qu'on récure
bien comme il faut l'imaginaire, la fiction, le cinéma. Comme s'il
s'agissait d'un enfant qui s'était trop longtemps amusé à se salir
(et Verhoeven le premier) d’ambiguïté, de mauvais sentiments,
d'affects et d'inconscient crasseux; la situation du spectateur est exactement celle de Ferguson dans Vertigo, un être saturé de névroses, de fantasmes, de phobies, de violence, et très peu de films s'adressent aujourd'hui à lui. Cette saleté qui nous compose, j'ai l'impression que c'est ce
qu'on veut nous enlever : d'abord la grande majorité de ce qui sort
aujourd'hui au cinéma, ensuite, ceux et celles qui scrutent tous les
signes de misogynie du film de Verhoeven, sans comprendre que c'est
le film lui même qui, malicieusement, ne les quitte pas du regard.</div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com11tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-79297422714575419612016-10-02T15:51:00.003-07:002016-10-02T19:07:12.185-07:00Le Fleuve de Jean Renoir (1951)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-Iz8Na42_9zg/V_GPNt-4OXI/AAAAAAAAC6A/ZnGLDOs_too9pangakss6ogoQJHlY5GcACLcB/s1600/vlcsnap-2016-10-03-00h49m15s464.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="306" src="https://4.bp.blogspot.com/-Iz8Na42_9zg/V_GPNt-4OXI/AAAAAAAAC6A/ZnGLDOs_too9pangakss6ogoQJHlY5GcACLcB/s400/vlcsnap-2016-10-03-00h49m15s464.png" width="400" /> </a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
On nous dit d'abord que c'est l'histoire d'un premier amour, celui de Harriet, jeune anglaise expatriée pas encore pubère, qui essaye naïvement d'envoûter le
capitaine John avec les poèmes et les histoires qu'elle écrit sans comprendre que le capitaine est davantage ensorcelé par la
beauté de son amie Valérie.<br />
Pas encore femme, Harriet n'a que ses histoires pour se défendre et pour séduire. Un jour, elle vient interrompre une scène de flirt entre Valérie et le capitaine pour leur raconter l'histoire qu'elle vient d'écrire à propos du dieu Krishna. A la fin du récit, mis en image par Renoir, son amie lui répond "Ce n'est pas l'histoire de Krishna, mais d'une fille quelconque", ajoutant que cette histoire banale n'a pas de fin puisqu'elle est vouée à se répéter avec l'enfant de cette fille quelconque. Ainsi, dans la tête de la jeune fille, qui est l'un des plus beaux personnages de jeune fille de l'histoire du cinéma, il y a des banales histoires de prince charmant et de bonheur conjugal qui se prennent pour des récits sacrés. C'est un peu pour ça aussi que se prend <i>Le Fleuve</i>, le récit d'un banal bonheur familial, perçu rétrospectivement comme un âge d'or, un âge sacré. De même qu'on nous dit que c'est l'histoire d'un premier amour, or c'est d'abord l'histoire des premières grandes peines de Harriet, l'histoire, par la douleur, de sa naissance au monde. <i>Le Fleuve</i> aimerait ne rien nous raconter d'autre que ce mouvement intégrateur dans lequel est pris Harriet, que cette connexion de toutes les choses entre elles qu'elle finit par pressentir. C'est un film entièrement tourné vers une sensibilité et qui tente de nous restituer ce qu'elle sent et comment elle sent. Ainsi les événements importent peu au regard de cette connexion cosmique, et dont la famille, et la psyché d'une jeune fille, en serait une version à taille réduite et dès lors observable. (Sur la famille et sur ce bonheur sans histoire, la comparaison entre <i>Le Fleuve </i>et <i>Meet me in Saint Louis </i>de Minnelli pourrait être belle et fructueuse.)</div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
Renoir voyage en Inde et en voyageant, trouve l'exact décor de ce qu'il a toujours voulu filmer, de ce qu'il a toujours pensé (voir <i>Renoir le Patron </i>de Labarthe) et qui est en opposition totale avec la rationalité occidentale qui cherche à séparer, à opposer, à discriminer ce qui a toujours fonctionné ensemble : vie et mort, création et destruction, profane et sacré, bonheur et douleur. Toute la beauté du <i>Fleuve</i> tient à cette façon de susciter en nous chacun de ses termes en même temps que son opposé, de les rendre indissociables, de susciter en nous la plénitude "cosmique" qui est celle d'Harriet à la fin du film <i>"Aujourd'hui l'enfant est là, et nous aussi, et le fleuve et le monde."</i> <br />
Et Harriet adulte de répéter son poème d'enfance : <i>"Le fleuve coule, la terre tourne. Midi, minuit, soleil, étoiles, le jour finit, la fin commence."</i> Cette "plénitude cosmique" va de pair avec une forme de stoïcisme qui voit, au-delà des micro-évènements, l'harmonie du monde. Et ce n'est pas un vieux sage qui le perçoit, mais une jeune fille.<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-3-98NrZZx1M/V_GYZ69JYfI/AAAAAAAAC6Q/PFGf98EiuycSYrY54gli6GeZE21JbNM8ACLcB/s1600/vlcsnap-2016-10-03-01h27m51s962.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="307" src="https://2.bp.blogspot.com/-3-98NrZZx1M/V_GYZ69JYfI/AAAAAAAAC6Q/PFGf98EiuycSYrY54gli6GeZE21JbNM8ACLcB/s400/vlcsnap-2016-10-03-01h27m51s962.png" width="400" /></a></div>
<br />
Ainsi le drame intime, la mort d'un enfant, doit se comprendre comme un moment de l'harmonie du monde. C'est ce que comprend Harriet, cette jeune fille écartelée entre deux périodes : entre son enfance et le moment où elle deviendra une femme. Ce corps révolté, qui bientôt trouvera sa place et sa fonction dans cette harmonie mondaine. J'en veux pour preuve le fait qu'elle passe du corps d'une jeune fille à celui de voix-off qui commente tout le film, voix désincarnée, un corps qui est passé ailleurs, dissous dans le fleuve, dans le monde.<br />
C'est elle le corps de cette réconciliation, ce corps d'abord déchiré, divisé, avant d'être dissous. Ce corps qui s'exclamera, lorsque sa mère lui expliquera qu'elle jour elle sera en âge de procréer, "je déteste les corps". Car ils ne sont rien, car ils séparent ce qui à vocation à ne faire qu'un : les animaux, le moi, le monde, les nouveaux nés et les étoiles; emportés dans le courant de la vie dont le fleuve en figure la limpide métaphore. Trois ans après, sortira <i>French Cancan</i>, version adulte et libidinale du<i> Fleuve</i>, ou alors pourrait-on dire que<i> Le Fleuve </i>est une version pour jeunes filles, une version bien peignée de<i> French Cancan</i>. Le french cancan se substituant au fleuve pour métaphoriser ce courant vital, ce flux qui contient toutes choses en son sein, et dont le mouvement compte plus que les micro-mouvements parfois morbides qui le composent. Drames, peines et petites morts en tout genre trouvent leur place et leur justification dans ce mouvement intégrateur plus fort que tout, révèlent ce qui, en eux, tient d'une forme de naissance.</div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-42211140856937650552016-08-15T07:14:00.001-07:002016-08-15T11:47:56.606-07:00journal des films (7 au 14 août)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div style="text-align: justify;">
<b><u>7 août</u></b></div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
<br />
<b>J.O</b></div>
<div style="text-align: justify;">
pas de films, mais la nuit je regarde les Jeux Olympiques, parenthèse enchantée qu'il faut savoir apprécier de façon boulimique ne serait-ce que parce qu'on a l'excuse que cela n'arrive que tous les quatre ans (si on ne compte pas les JO d'hiver).</div>
<div style="text-align: justify;">
Handball, natation, tennis de table (on ne dit pas "ping pong" nous dit le commentateur) : je n'ai pas grand-chose à dire sur le sport et quand je le regarde de façon très exceptionnelle j'apprécie de sentir que la performance qui demande précision, concentration, patience, est contenue à l'intérieur d'une fureur qui est celle de la salle, du stade. Parfois, souvent en bout de match (quand il s'agit d'un match) on peut la sentir, on a l'impression d'en être, et c'est comme une drôle de fièvre à l'intérieur de laquelle les sportifs doivent se rassembler.</div>
<div style="text-align: justify;">
Dans les choses très bêtes et très simples que j'aime dans le sport : le fait aussi que cette performance est prise à l'intérieur d'un cadre beaucoup plus global : d'origines sociales, de passion d'enfance, d'entraînements, de mésaventures, de limites physiques, et que tout cela doit concourir à extraire un jus très mince, très subtil, qui est la performance sportive. Telle gymnaste chinoise qui aimerait gagner un maximum d'argent pour aider son père aveugle, tel nageur américain qui prend sa revanche après avoir sombré dans l'alcoolisme. </div>
<div style="text-align: justify;">
Le sport ne serait pas autre chose qu'une façon de faire reculer tous les aléas, toutes les circonstances, pour produire de la perfection, une perfection qui élimine ou alors rassemble, réconcilie en un point toutes ces scories. C'est toujours la négation temporaire de l'impur, du monde. C'est très frappant aux JO, où l'on peut sentir la nouveauté des infrastructures et du matériel, on pourrait presque sentir l'odeur de plastique neuf, celui de la piscine, tout un univers propre comme un hôpital, ou même la sueur ne sent rien.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le plus passionnant est de voir comment deux adversaires peuvent avoir exactement le même niveau mais qu'il faudra pourtant bien les départager, à ce moment le réel s'introduit, les circonstances jouent sur un infime détail en faveur d'un des deux, "c'est le jeu".</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u><b>8 août</b></u></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<b><i>The Chapman Report</i> de George Cukor (1962)</b></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Un film choral sur la sexualité des américaines qui se noue autour du docteur Chapman venu recueillir les témoignages anonymes de plusieurs femmes. Il y a a priori tout ce que j'aime mais le film se perd très vite dans l'illustration très prévisible et mécanique de ses cas pathologiques : la nympho, la frigide, l'infidèle...Il faudrait pouvoir comparer le film à <i>Women </i>(1939)<i>. </i>On a toujours le sentiment que Cukor se sent totalement à l'aise pour parler des femmes, à la place des femmes, pour les femmes. Il y a une sorte de complicité et de familiarité tacite entre Cukor et les femmes qui lui permet de se risquer à être cruel, taquin, parfois vulgaire. Ici son aisance se retourne contre lui.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<b><i>Trahisons à Athènes</i> de Robert Aldrich (1959)</b></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
J'entame une mini-rétrospective très distendue de la filmographie d'Aldrich qui commence à devenir mon cinéaste préféré : je compte <i>La Cité des dangers</i>, <i>All the Marbles </i>et <i>Faut-il tuer Sister George ? </i>dans mon top 100 qui n'existe pas. Plus jeune je ne l'aimais pas par ignorance, j'avais vu trois films, je trouvais ça grimaçant et ennuyeux. Je me souviens d'une projection de "Pas d'orchidées pour Miss Blandish...", les acteurs transpiraient à grosses gouttes, depuis je continue de chercher des films où les acteurs suent. </div>
<div style="text-align: justify;">
Aujourd'hui je l'aimerais presque par narcissisme, parce qu'il obéit à tous mes critères actuels. L'impureté, le cauchemar, le cinéma maladif, une manière d'être toujours sensuel, sexy, qui est peut-être l'une des choses primordiales lorsqu'on fait des films, lorsqu'on filme des acteurs : montrer qu'on a le sens de la sensualité et celui de l'humour, et donc, qu'on est un réalisateur bien vivant. Cela doit avoir un rapport avec le fait que les acteurs suent dans Miss Blandish, un réalisateur doit avoir le sens de la peau, doit se poser la question de la peau de ses acteurs.</div>
<div style="text-align: justify;">
Trahisons à Athènes est un petit Aldrich, un Aldrich impeccable sans être génial. On y décèle sa capacité à dépeindre en profondeur une large galerie de personnages, comme s'il pouvait toujours compter sur son sens de la vie pour faire exister n'importe quel second rôle. C'est ce que je sens le plus chez Aldrich : le fait que ses qualités de cinéaste ne sont pas autre chose que les qualités de l'homme. Ca ne marche pas avec tout le monde. </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<b>10 août</b></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<b><i>The Only game in town </i>de George Stevens (1970)</b></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-HNdWO3LQ95c/V7HMwXl5AmI/AAAAAAAAC3s/rv2MGPuiiBgIBCMy2GVEMs1J5n_QyNRmgCLcB/s1600/vlcsnap-2016-08-15-16h07m17s45.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="225" src="https://4.bp.blogspot.com/-HNdWO3LQ95c/V7HMwXl5AmI/AAAAAAAAC3s/rv2MGPuiiBgIBCMy2GVEMs1J5n_QyNRmgCLcB/s400/vlcsnap-2016-08-15-16h07m17s45.png" width="400" /> </a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
Elizabeth Taylor se lève péniblement au bruit de son réveil, à la télé : un film avec Bogart. En quelques plans, la gueule de bois de Hollywood, en plus, on est à Las Vegas. Elle joue une femme sentimentale, seule et dépressive, une sorte de Cléopâtre perdue dans un royaume en carton. Cela aurait totalement pu être un film de Cassavetes : langueur et solitude urbaine, l'amour comme dernier recours, dernier endroit où se cacher. En cela le début est assez beau, parce que lâche et contemplatif, installant son atmosphère et ne s'enfermant pas encore dans son dispositif. Ensuite le film pêche par sa trop forte hybridité, entre studio et décor réel, entre sa volonté de nous faire voir le monde d'après l'âge d'or et une star déchue de son piédestal tout en se reposant un peu trop sur son duo d'acteurs star. Le film incarne assez idéalement cette forme d'académisme hollywoodien qui inaugure les années 60 et où il était de bon ton de prendre un air amer et désabusé pour donner l'impression que le cinéma se réveillait d'une longue illusion. On dirait que Stevens tente de faire le jeune réalisateur ou alors le vieux réalisateur encore à la page : ça arrive souvent et c'est la plupart du temps ridicule. Mais il n'a jamais été suffisamment bon pour être autre chose qu'un petit ouvrier bien de son époque et bien de son âge.</div>
<div style="text-align: justify;">
C'est trop écrit, trop théâtral, Taylor est mauvaise, trop désorientée, du coup elle oublie son personnage et se remet à jouer comme une diva. Je ne l'ai jamais trop aimée, ni trouvé belle d'ailleurs (à part dans Cléopâtre) : quelque chose de porcin dans le visage, d'un peu peste qui éclate lorsqu'elle pique ses crises d'hystérie. Son jeu est trop binaire, avec toujours cette façon d'aller irrésistiblement de la douceur à la colère. Elle a le jeu de l'état de son cinéma : engoncé, théâtral, hystérique. On est finalement plus chez Tennessee Williams que chez Cassavetes.</div>
<div style="text-align: justify;">
<i><br /></i></div>
<div style="text-align: justify;">
<b><i>Une affaire de femmes</i> de Claude Chabrol (1988)</b></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
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<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-jW6WYJXqZ6s/V7HKHunh6tI/AAAAAAAAC3g/L4H92PPmyWwa278ecUlSUXEAb_8bGeZegCLcB/s1600/vlcsnap-2016-08-14-17h03m50s194.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="241" src="https://1.bp.blogspot.com/-jW6WYJXqZ6s/V7HKHunh6tI/AAAAAAAAC3g/L4H92PPmyWwa278ecUlSUXEAb_8bGeZegCLcB/s400/vlcsnap-2016-08-14-17h03m50s194.png" width="400" /></a></div>
<br />
<br />
Un quasi-remake de <i>Violette Nozière</i>, où le personnage de Huppert se situerait à équidistance de Madame Bovary et de Jeanne d'Arc. Je crois que Chabrol dans ce film déploie absolument tout de la palette de Huppert : l'enfant inconséquente et capricieuse (ses moues, certaines intonations parfois), la femme au foyer qui rêve d'une autre vie (d'avoir un amant, d'être chanteuse), la sorcière sans scrupules. Et toutes ses potentialités sont contenues dans un seul et même trait, montrant, d'une scène à l'autre, toujours une nouvelle nuance<b> </b>de l'actrice. C'est peut-être en cela qu'Huppert est une grande actrice, dans sa manière de définir le jeu d'actrice comme quelque chose qui se meut, se métamorphose sans interruption et nous envoûte dans son perpétuel changement. Je crois que là se trouve le secret de son jeu : dans un devenir perpétuel et totalement imprévisible. On ne sait pas si elle sera douce ou dure, joyeuse ou cruelle, mais elle est par contre toujours innocente dans sa culpabilité, et c'est absolument magnifique dans le film. On la pensait femme, elle était en fait petite fille irresponsable, Fifi Brindacier. <b><br /><br /><br /><br /><i>Le secret magnifique </i>de Douglas Sirk (1954)</b></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
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Vu une première fois il y a quelques années dans de très mauvaises conditions (fichier de très mauvaise qualité, petit écran, sous-titres bancal). Je le revois, cette fois-ci proprement, et accompagnée d'une personne qui n'a jamais vu un Sirk et a qui je montre peut-être le Sirk qu'on aime une fois qu'on a vu les autres. </div>
<div style="text-align: justify;">
Sûrement le Sirk le plus excessif, le plus "difficile à avaler", le plus angoissé et peut-être le plus expérimental. C'est une grosse machine mélodramatique qui se nourrit exclusivement d'excès et d'invraisemblances et tente de transformer toute cette lourdeur scénaristique en pur or lacrymal. On se croirait dans une de ses expériences de pensée kantiennes qu'on trouve toujours trop pures, trop irréalistes pour pouvoir en appliquer les préceptes dans nos propres vies. Et comme chez Kant, dans <i>Le Secret magnifique </i>la morale dévoile sa part de folie. D'où l'artifice pur et absolu, d'où un film totalement mortifère parce que portant une forme, le mélodrame, à son degré le plus fou, à un état de quasi-putréfaction : le film est entièrement rongé par l'ombre. Comment faire du mélodrame après ça ?<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-GG3WfM7mLzI/V7HKCrsyy6I/AAAAAAAAC3c/JM_L_13fe9Ug_gApNDU3YmaPmwqMQc2MwCLcB/s1600/picture-16amagnificient.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="266" src="https://1.bp.blogspot.com/-GG3WfM7mLzI/V7HKCrsyy6I/AAAAAAAAC3c/JM_L_13fe9Ug_gApNDU3YmaPmwqMQc2MwCLcB/s400/picture-16amagnificient.png" width="400" /></a></div>
<br />
<br />
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<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<b>14 août<i><br /><br />The Big Knife</i> de Robert Aldrich (1955)</b><br />
<br />
Je préfère vraiment la deuxième moitié de la filmographie d'Aldrich à la première. Encore trop surlignée, trop édifiante, trop consciemment dénonciatrice. <i>The Big Knife</i>, adaptée d'une pièce de Clifford Odets (dans mon souvenir c'est toujours mauvais signe) est tellement théâtral qu'il en devient complètement claustrophobique. C'est un peu le même problème que le George Stevens : une sorte d'académisme de la subversion et de l'amertume. Mais ce que j'aime toujours chez Aldrich, c'est ses angles obliques qui témoignent toujours d'une distorsion morale.<b><br /></b><br />
<br />
<b><a href="https://4.bp.blogspot.com/-h1qocPhO6J8/V7HNzwDwrJI/AAAAAAAAC30/3ROA7xDwcJUMNhJzvjE4v-Z3DSoKCcm0QCLcB/s1600/vlcsnap-2016-08-15-16h12m12s182.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="281" src="https://4.bp.blogspot.com/-h1qocPhO6J8/V7HNzwDwrJI/AAAAAAAAC30/3ROA7xDwcJUMNhJzvjE4v-Z3DSoKCcm0QCLcB/s400/vlcsnap-2016-08-15-16h12m12s182.png" width="400" /></a></b><br />
<b></b><br />
<b></b><br />
<b><br /><i>Jardins de pierre</i> de Francis Ford Coppola (1987)</b></div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
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</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
Je me souviens surtout d'Anjelica Huston sur le pas de sa porte, sinon je crois que j'avais beaucoup dormi devant le film, il n'y a que comme ça que je peux m'expliquer à moi-même le fait d'être passée devant l'un des meilleurs Coppola. En ce sens, il faudrait vraiment inverser le rapport entre les "grands films" de Coppola et sa veine intimiste, qui est en fait la plus répandue au sein de sa filmographie. Les "gros machins" sont l'exception. <br />
Toujours cette impression donc, d'être devant un film imbibé et dégoulinant de sentiments, de liens affectifs, de personnages qui n'existent qu'en fonction de leur affection pour un autre personnage. Cela finit par créer un réseau très denses de sentiments, où un personnage se donne d'abord par le prisme de ses liens. Avant d'être lui-même, il est ce qu'il est pour les autres personnages : un fils, un ami, un mari, un frère. Je crois qu'un personnage coppolien qui désirerait vivre en dehors de tous liens affectifs serait voué à s'évaporer, comme le Motorcycle Boy.<b> </b>Ce sont peut-être des banalités qui fonctionnent pour n'importe quel cinéaste et je crois que c'est ce qui fait qu'il est toujours dur d'écrire sur les films de Coppola : on prend le risque de tomber dans des généralités un peu neuneu.<b><br /></b>A cela s'ajoute la dimension totalement fordienne du film : les "soldats d'opérette" qui ne participent pas à la guerre de leur pays, humiliés d'être mis ainsi à la marge de l'Action et de l'Histoire, les rituels et cérémonies déréglés, l'Histoire racontée par le prisme d'une intimité bouleversée.<b> </b>Si <i>Jardins de pierre</i> est si beau c'est dans sa façon de nous démontrer qu'on peut donner l'idée de la guerre sans se contorsionner et sans jamais avoir à élargir ou à embrasser quelque chose qui serait plus grand, plus écrasant, plus important que l'intime. Il ne faut pas avoir autre chose que le sens du détail, que le sens de
l'intime, et savoir le filmer, pour avoir le sens de l'Histoire.<br />
<br />
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-Ut8xK06hrZc/V7HNTBzA6-I/AAAAAAAAC3w/jwd5AyvMC9MtnpugexIh_vHoVNqlR4inACLcB/s1600/vlcsnap-2016-08-15-02h35m56s164.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="217" src="https://2.bp.blogspot.com/-Ut8xK06hrZc/V7HNTBzA6-I/AAAAAAAAC3w/jwd5AyvMC9MtnpugexIh_vHoVNqlR4inACLcB/s400/vlcsnap-2016-08-15-02h35m56s164.png" width="400" /></a> </div>
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Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-21294723366913229502016-08-07T07:46:00.001-07:002016-08-07T08:21:42.787-07:00journal des films (1 - 6 août)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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<b>1er ao</b><b>ût</b><br />
<b></b><br />
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<a href="https://3.bp.blogspot.com/-Nxgru_8qzDU/V6aYzd2zwrI/AAAAAAAAC20/w1StWpY7cEc_KIoBQYp9o1LBdG3aYFfZgCLcB/s1600/tumblr_m6a5z12G2o1qabos9o1_1280.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="223" src="https://3.bp.blogspot.com/-Nxgru_8qzDU/V6aYzd2zwrI/AAAAAAAAC20/w1StWpY7cEc_KIoBQYp9o1LBdG3aYFfZgCLcB/s400/tumblr_m6a5z12G2o1qabos9o1_1280.jpg" width="400" /></a></div>
<b><br /><i>Quand Harry rencontre Sally </i>de Rob Reiner (1989)</b></div>
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Rentrée de vacances, compulser le replay de TCM et se décider à regarder le film le plus aisément regardable, celui qui demande le moins d'effort d'attention, le plus agréable même quand il est mal fichu : une comédie romantique. Est-ce que c'est quelque chose dans la forme, quelque chose dans le sujet, quelque chose qui vient titiller cette soif inextinguible de propos sur l'amour. Revoir le film de Rob Reiner, y voir un digest de tout ce que la comédie romantique peut, n'y voir qu'une recette, une combinaison de codes et d'abord et surtout celui-ci : un duo irrésistible, qui finit par tomber amoureux, mais plus important que ce but-là il y en a un autre : il faut que ce duo soit adorable aux yeux des spectateurs, il faut que le public tombe amoureux de ces héros pour que les héros tombent amoureux l'un de l'autre. Le film a une sorte de fausse virtuosité dans les dialogues, j'y vois uniquement une sorte de complaisance assez monstrueuse qui consiste à n'envisager ces héros que du point de vue de l'amour. C'est ce qu'il y a de plus effrayant dans la comédie romantique : elle donne naissance au célibataire en tant qu'il est un être privé d'amour, un être frustré, empêché, et du point de vue de l'amour : un être inférieur. Une bonne comédie romantique serait une comédie où le "célibataire" n'existerait pas, ou alors il existerait mais ce serait un être supérieur, qui n'aurait pas besoin de l'amour : ce serait quelque chose qui viendrait le combler au même titre que son métier, ses amis ou ses occupations, quelque chose qui prendrait place au milieu d'une vie déjà bien remplie - mais c'est peut-être déjà tuer les conditions de possibilité même de la comédie romantique que de dire ça. La comédie romantique serait donc un genre qui se trompe oui qui n'a pas compris qu'<a href="http://lostwknd.blogspot.fr/2016/02/elle-et-lui-love-affair-leo-mccarey-1939.html" target="_blank"><i>Elle et lui</i> </a>était un film totalement antiromantique. Le problème de Quand Harry rencontre Sally, le problème du genre de la comédie romantique ratée, c'est qu'elle prétend à une gestion des moeurs de son public, elle lui administre un imaginaire prêt à être utilisé dans sa propre vie : tout y est biopolitique, rien n'est existentiel (et c'est pour ça que Woody Allen échappe totalement à ce défaut).</div>
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<u><b>2 août</b></u></div>
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<b>Téloche</b></div>
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Une soirée passée devant des documentaires Arte, sorte d'agonie télévisuelle, de distraction concentrée, d'excuse pour ne pas faire, pour ne rien faire. Les documentaires sont très bons (l'un sur le Qatar et sur le sort réservé aux immigrés, l'autre sur l'aberration qui a conduit à organiser les J.O d'hiver à Sotchi, la ville la plus chaude de Russie). Je me mets à penser paradoxalement que ces documentaires seront injustement peu vus, parce qu'ils passent une fois, à la télé, et qu'ils devraient passer sur plusieurs tranches horaires, comme des séances de films. Je ne me rends pas compte à quel point il est plus avantageux pour eux de passer à la télé, qu'une audience télévisuelle vaut sûrement toutes les sorties cinéma. Et comme toujours, j'aime l'idée que la télévision soit capable du pire comme du meilleur et que c'est cette alternance, cette coexistence qui fait tout son prix. Elle a ses mauvais jours et ses bons jours, non pas alternativement mais simultanément.</div>
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<u><br /></u></div>
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<u><b>3 août</b></u></div>
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<b><i>La truite </i>de Joseph Losey (1982)</b></div>
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D'où vient que les mauvais films ont l'air de se prendre plus au sérieux que les "autres films" ? Cela doit tenir au fait que leur sérieux rate, que ce sérieux est rattrapé par la blague que le film ne peut s'empêcher d'être. Alors le sérieux, au lieu d'être présupposé à chaque scène de façon naturelle, ressurgit à la surface, devient quelque chose de gênant et de ridicule : on fait comme si on était dans un bon film. Pauvres acteurs, dont le sérieux ici touche à l'innocence de ne pas se savoir duper par le mauvais film. Un acteur joue et ne sait pas que le film est/sera mauvais. Dans tous les cas il faut beaucoup de sérieux pour faire un film : pour le rater comme pour le réussir. L'exemple des nanars portent cette idée jusqu'à incandescence : on rit d'une farce qui a tout de sérieux pour l'équipe du film. </div>
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J'ajouterais que la phrase de Rivette comme quoi un film est toujours un documentaire sur son propre tournage vaut davantage pour les mauvais films. Les grands films eux donnent l'étrange impression que leur tournage n'a pas existé, que tout était déjà là, filmé, joué, monté, magiquement. A quoi pouvait bien ressembler le tournage de Vertigo ? </div>
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<b><br /><i>Les Ambitieux </i>d'Edward Dmytryk (1964)</b><br />
<b><br /></b>Dès le générique : une pompe presque ridicule mais sympathique, qui tient davantage d'un esprit de sérieux télévisuel que du cinéma. Ca va être une grande fresque, ça parlera fric, sexe et drames familiaux. Mais le film laisse toute la place à son sujet (les moeurs détraquées d'une galerie de personnages et d'un héros inspiré de Howard Hugues) pour que celui-ci le contamine de l'intérieur. Il y a un esprit de sérieux qui n'en finit jamais de s'assouplir, de laisser de la place pour que quelque chose advienne. Le film est malade, oui, mais il ne cesse de s'enrichir, de se nourrir de sa maladie, et c'est ce que j'apprécie de plus en plus au cinéma : une grande santé trouvée dans la maladie. Ca ne pourrait qu'être une formule mais c'est exactement ce que je pense.<br />
Il y a de toutes façons trop de violence à contenir, trop de coups de théâtre, trop de vulgarité pour que Dmytryk surplombe jusqu'au bout son petit monde. On dirait que le Hollywood des années soixante est trop occupé à révéler tous les sales petits secrets, à lever tous les voiles, il vit dans l'illusion que le sexe fut le secret le mieux gardé, et se délecte d'en foutre partout. Dans le meilleur des cas (enfin il y a mieux mais j'aime vraiment le film), cela donne <i>Les Ambitieux</i>, cela donne un cinéma décadent.</div>
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<b><u>4 août</u><br /><br /><i>La Guerre des boutons </i>d'Yves Robert (1962)</b><br />
<b><br /></b>L'enfance universelle, contre l'enfance intime et mélancolique d'un, par exemple, Antoine Doinel. Je pense que le film fonctionne très bien sur deux modes : soit sur des enfants qui le voient pour la première fois, soit sur des gens âgés à qui cela rappellera des souvenirs. Les dialogues sont trop écrits pour que la liberté frondeuse de l'enfance surgisse réellement. Rien n'est abordé sur le mode de l'intime, tout sur le mode collectif (l'un empêche pas l'autre mais), ou disons, l'enfance perçue comme une catégorie quasi-sociologique et qui d'ailleurs ne rêve que d'une chose : faire tout comme ces cons d'adultes.<b> </b>D'où ce sentiment de malaise, qui pourrait correspondre à ce que j'ai ressenti devant Quand Harry rencontre Sally : l'impression de se voir imposer un imaginaire dans lequel tout le monde devrait se retrouver et qui nous vide de notre singularité<b> </b>de spectateurs.<b> </b><i>La Guerre des boutons</i> est un vrai faux film sur l'enfance et un vrai film de vieux (imaginer le vieux Gabin se marrer devant).<b><br /></b></div>
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<b></b></div>
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<b><br /> </b><br />
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<b><a href="https://3.bp.blogspot.com/-GTYqPMdB_PI/V6aX86fDJYI/AAAAAAAAC2s/q-whmNSj2l8YMl0EL4dQxxAtlAq0ZA3NgCLcB/s1600/CSVM-m3XAAAYJHl.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="304" src="https://3.bp.blogspot.com/-GTYqPMdB_PI/V6aX86fDJYI/AAAAAAAAC2s/q-whmNSj2l8YMl0EL4dQxxAtlAq0ZA3NgCLcB/s400/CSVM-m3XAAAYJHl.jpg" width="400" /></a></b></div>
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<br /></div>
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<b><i>Bedlam</i> de Mark Robson (1946)</b><br />
<b><br /></b>Une vieille copie abîmée au Christine 21, avec ce son étouffé, ce grésillement, cette histoire si étrange mêlée d'horreur et de fantastique : le film apparaît dès lors comme une antiquité fantomatique. Comme Tourneur, Robson croit fermement en ce qu'il filme, même s'il s'agit de l'histoire la plus tordue ou la plus improbable. C'est quelque chose qui a à voir à l'enfance et qui frappe dès les premières minutes du film. On dirait qu'on assiste aux premiers soubresauts de la fiction, et que notre état de croyance est telle que nous sommes prêts à tout recevoir, que nous sommes même prêts à avoir peur (ce qui équivaut à un niveau très élevé de croyance).<b><br /><br /><i>Tucker </i>de Francis Ford Coppola (1988)</b><br />
<b><br /></b>Le film me plaît infiniment plus que la première fois, pourtant vu dans les meilleures conditions (Cinémathèque + Jean Douchet, enfin ça peut aussi être angoissant)/ Il est traversé par une douce virtuosité, une fluidité onirique mais rentré (le regard, les expérimentations, les choses apprises du cinéma électronique se coulent et se greffent naturellement dans la pâte du film). Le film commence par le milieu et se déroule comme un long rêve publicitaire. C'est étrange, bonhomme, douloureux, apparemment "mineur" et comme toujours chez Coppola, saturé d'affects, d'affection, de sentiments pour autrui : comme l'est <i>L'idéaliste</i>, comme l'est <i>L'homme sans âge</i> ou encore<i> Les gens de la pluie<b>. </b></i>Peut-être même que Coppola est le grand cinéaste de l'être-pour-autrui.</div>
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<br />
Coïncidence : voir un film inspiré de la vie de Howard Hugues (le Dmytryk) puis croiser une nouvelle fois Howard Hugues dans le Coppola. Comme si le cinéma américain, parce qu'il a tout raconté ou disons, parce qu'il a raconté beaucoup de choses, ne pouvait que provoquer des croisements de récits, de films, des entrechoquements.<br />
<b><br /><br />6 août<br /><i><br />The Strangers </i>de Na Hong-jin (2016)</b><br />
<b><br /></b>Se traîner pour aller voir le seul film récemment sorti qui m'intéresse un peu et que je n'aurais certainement pas vu en dehors de la période estivale. L'impression d'y aller pour littéralement tuer le temps, avec toujours la possibilité de sortir de la salle, possibilité qui me rend la séance supportable maintenant que je n'ai plus aucun scrupule à le faire et que je m'y toujours un semblant de désinvolture (une façon, toujours discrète, de montrer dans ma seule silhouette que j'en ai marre et que je me casse parce que j'ai mieux à faire "et vous devriez faire pareil"). Toujours tiraillée entre deux positions : "tu seras un peu triste de l'avoir raté" / "tu seras énervée si c'est vraiment nul". <br />
Le film est suffisamment bordélique et imprévisible pour qu'on reste jusqu'au bout malgré la durée, on a l'impression de se diriger vers toujours plus de folie, mais cette folie, bien qu'elle explose dans deux scènes de chamanisme très belles, finit par être entièrement contenu par un esprit de sérieux, un surmoi d'auteur et de scénariste déjà trop présent dans <i>The Chaser</i>. On sent de façon assez plaisante que le scénario ne cesse d'échapper à son auteur et qu'il se laisse aller par moments à cette folie qui est le véritable sujet du film : révéler au coeur de l'intrigue policière une démence généralisée. Mais sa volonté d'édifier, de se faire le démiurge pessimiste, l'oblige à tenter coûte que coûte de le remettre sur le droit chemin, de reprendre là où il l'avait laissé le fil narratif au lieu de penser le film comme une succession d'excroissances monstrueuses et hallucinées. Du coup, vingt minutes (peut-être moins) passionnent, mais se retrouvent noyées dans 2h40 effroyablement attendues. Et c'est drôle de voir que la puissance des meilleures scènes n'arrive même pas à racheter le film.<br />
<br />
<b><i>7 août </i><br /><i>Faustine et le bel été</i> de Nina Companeez (1972)</b><br />
<b><br /></b>Il faut peu de temps pour déceler le nanar. Déjà, celui de préférer une très mauvaise actrice à Isabelle Huppert qui tient là son premier rôle et joue littéralement cinq secondes. Et puis, son nom mal orthographié au générique "Isabelle Hupert". Dans le casting : Francis Huster, Isabelle Adjani, Maurice Garrel. Rétrospectivement on a l'impression d'un outrage fait à Huppert (qui n'a alors aucune filmographie derrière elle) et le film n'a d'intérêt que pour cela : sa manière de se désintéresser complètement de la future meilleure actrice française et d'ambitionner une sorte de film de jeune fille en vacances à la découverte de ses premiers émois érotiques, mais le film est sans grâce et trop ridicule pour provoquer le moindre trouble.<br />
<br />
<br />
<b><i>Les Soeurs Brontë</i> d'André Téchiné (1979)</b></div>
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<br /></div>
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<a href="https://1.bp.blogspot.com/-CMuCaDvbOmo/V6aW6YYLuoI/AAAAAAAAC2c/VNtZpZGjVSs1GRQwdMP21OIDSB1tvhO2QCLcB/s1600/vlcsnap-2016-08-07-03h51m13s107.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://1.bp.blogspot.com/-CMuCaDvbOmo/V6aW6YYLuoI/AAAAAAAAC2c/VNtZpZGjVSs1GRQwdMP21OIDSB1tvhO2QCLcB/s400/vlcsnap-2016-08-07-03h51m13s107.png" width="400" /></a></div>
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<a href="https://1.bp.blogspot.com/-NITDabiQyqs/V6aWdf_VTNI/AAAAAAAAC2Y/gJbG6RXMhRsqPJXlWP2quYj_hsB7RCN3wCLcB/s1600/vlcsnap-2016-08-07-03h51m34s61.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://1.bp.blogspot.com/-NITDabiQyqs/V6aWdf_VTNI/AAAAAAAAC2Y/gJbG6RXMhRsqPJXlWP2quYj_hsB7RCN3wCLcB/s400/vlcsnap-2016-08-07-03h51m34s61.png" width="400" /></a></div>
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Il est évident que Téchiné a dû demander à ses actrices de bouger le plus lentement possible, d'exécuter les gestes quasiment au ralenti. Et pour ramasser cette lenteur, rien de mieux que des scènes globalement très courtes, une série de visions sur ce que pouvaient être l'environnement des Brontë : leur maison, leurs vêtements, la lande, le vent. Dans le genre du biopic, cette pudeur mêlée de prudence et en même temps d'audace (ces problèmes de fidélité au biographique et donc, ces infidélités faites aux faits) paie toujours (je pense au Edvard Munch de Watkins). Huppert a cette nonchalance qui semble nous dire qu'elle prend son temps pour nous en mettre plein la vue, tandis qu'Adjani est excessive dès les premières scènes. Elle fait la princesse, elle joue trop fort, mais finit par s'ajuster<i> in extremis</i> à son personnage (Emily Brontë). Deux très beaux plans fixes résument selon moi le jeu d'Adjani et celui de Huppert. Le gouffre de folie que cache mal le visage de la première, le calme inquiétant de l'autre. Les deux actrices étaient plus ou moins rivales et l'on comprend qu'Adjani, vu ses rôles, vu son mode d'être intenable, n'a pu être qu'une étincelle dans le cinéma français, tandis que Huppert construisait patiemment, froidement, une filmographie. Regard dans le vide contre regard qui guette. Huppert semble toujours savoir ce que fait son visage, ce qu'il laisse transparaître, à l'inverse d'Adjani.</div>
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<b><i>Rien ne va plus </i>de Claude Chabrol (1997)</b></div>
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Film de vacances, littéralement. Chabrol prend des vacances, s'amuse à l'intérieur de son propre cinéma et n'a aucun problème à le montrer. On dirait une récréation faite film : "c'est toi qui m'a appris à m'amuser non ?" dit Isabelle Huppert à Michel Serrault, et cela résume à peu près tout le film. Tout le monde s'amuse et peut-être que pour une actrice, surjouer consiste littéralement à s'amuser, à jouer au maximum. Chabrol dissémine ça et là des observations, des traits d'esprit, Huppert surjoue Huppert, ça mange, ça voyage, ça change d'hôtel. Littéralement, un film-vacances.</div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-_JL2fJWfvPw/V6dLJCUqNyI/AAAAAAAAC3E/C_nm4rM3u2gT2KYFxficIc0MPb7cdJO4ACLcB/s1600/vlcsnap-2016-08-07-16h51m06s241.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://3.bp.blogspot.com/-_JL2fJWfvPw/V6dLJCUqNyI/AAAAAAAAC3E/C_nm4rM3u2gT2KYFxficIc0MPb7cdJO4ACLcB/s400/vlcsnap-2016-08-07-16h51m06s241.png" width="400" /></a></div>
<b><br /></b></div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-19536313665333145542016-04-25T17:17:00.001-07:002016-04-25T19:25:17.567-07:00La tectonique des plans / Notes sur Vertigo et La Prisonnière du désert <div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div style="text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-5UiPJxVP6c0/Vx6zjmFcyjI/AAAAAAAACxc/V3MeIuQWRrEuNZDOgJICRFgMghypKOICgCLcB/s1600/vlcsnap-2016-04-20-15h39m43s240.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="225" src="https://4.bp.blogspot.com/-5UiPJxVP6c0/Vx6zjmFcyjI/AAAAAAAACxc/V3MeIuQWRrEuNZDOgJICRFgMghypKOICgCLcB/s400/vlcsnap-2016-04-20-15h39m43s240.png" width="400" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-n_MxvdptOuw/Ui-37uEawdI/AAAAAAAAB3Y/QGgzY0VIMgsRpb3YvP1tPJfUmOFa7zOOwCKgB/s1600/vlcsnap-2013-09-11-02h19m49s163.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="212" src="https://3.bp.blogspot.com/-n_MxvdptOuw/Ui-37uEawdI/AAAAAAAAB3Y/QGgzY0VIMgsRpb3YvP1tPJfUmOFa7zOOwCKgB/s400/vlcsnap-2013-09-11-02h19m49s163.png" width="400" /></a></div>
<br />
<br />
Comment créer du secret dans un film ? Comment y ménager des zones secrètes ? A cette question, j'ai l'impression que <i>Vertigo</i> et <i>La prisonnière du désert,</i> deux films si décisifs et déterminants pour le cinéma moderne, y répondent de la même manière, par une sorte d'indifférence absolue pour ce qu'est en mesure de voir ou de ne pas voir son spectateur. Ford comme Hitchcock ne se posent ainsi jamais la question de ce qu'il faut pour qu'un plan, qu'un détail dans le plan, soit concrètement perçu : une certaine vitesse et un certain rythme à respecter pour ne pas que le spectateur soit aveuglé par trop d'informations. Non, ils font précisément tout le contraire et bourrent chaque plan jusqu'à la saturation. Dans ces deux films il n'y a quasiment que des morceaux de bravoure, ce qui paradoxalement, annule presque l'idée de virtuosité : mettre de la virtuosité au milieu de la virtuosité, c'est en quelque sorte l'annuler, obliger le spectateur à éprouver cette virtuosité comme le rythme de croisière du film.<br />
On assiste alors à un mouvement qui a presque quelque chose du phénomène naturel, organique, impossible à prédire et seulement observable; une loi de la nature. Saturer un film sans se poser la question de ce qui est visible ou non, ne produit pas une sorte d'homogénéité pleine et lisse, mais, paradoxalement, fait apparaître une série de creux et de bosses, active une sorte de tectonique des plans où chacun possède sa propre vibration : un plan vient en recouvrir un autre tandis que l'autre s'affaisse sous son poids, un autre dérive, deux autres se frottent l'un contre l'autre. Le film devient cette longue trame de plans qui se marchent dessus, percés de regards et de gestes secrets, et qu'il faudra revoir encore et encore pour pouvoir embrasser l'ensemble, ramasser tous les secrets disséminés ça et là. <br />
Voilà donc comment apparaît, selon moi, le secret dans Vertigo et <i>The Searchers</i> : à force de densité et de saturation, certaines scènes et certaines plans semblent se retirer du film pour se mettre dans un coin, le film n'est plus cette surface homogène mais une série de plaques, de couches, de strates mal visées entre elles. C'est ce qui expliquerait assez bien que les deux films se soient vus attribuer le qualificatif d'invraisemblable : invraisemblance des situations, série d'incohérences narratives et de détails qui tuent (l'Indien enterré qui respire encore, l'absence de vérité géographique : Monument Valley qui n'est pas le Texas, décor qui d'ailleurs doit m'inspirer toute cette métaphore géologique). Cette invraisemblance est voulue pour elle-même, c'est la marque du rêve ou du cauchemar qui ne s'embarrasse d'aucune cohérence, raconte son histoire et forge ses images toujours à la diable. Deux films qui sont donc comme des cauchemars, deux délires, la psyché déroulée de
leur héros, et où chaque plan est comme le morceau d'un miroir brisé,
d'une mémoire brisée, encerclée par un néant que le montage n'essaye
même plus de colmater. Je me souviens dans <i>Vertigo</i>, de ce plan qui commence trop tôt, et où l'on voit Stewart à l'arrêt, et de ces plans dans <i>La prisonnière du désert</i>,
tout le début où chaque scène semble avoir été amputée de quelques
secondes qui nous donneraient à voir le départ du geste. Cela donne le
sentiment, dans l'un et l'autre cas, d'une fixité rêveuse.<br />
(On pourrait poser cette question aux films : sur quel terrain, quel fond se construisent-ils, qu'est-ce qui pulse sous le plan ? Du vide, de la glace, de la terre, du blanc, du noir, du feu ?)<br />
<br />
Je suis frappée de voir à quel point j'ai ainsi dû attendre la troisième ou quatrième vision pour comprendre toute l'ampleur de ces deux films, pour que les rangées de derrière s'avancent toutes vers moi dans un émerveillement toujours réitéré. C'est peut-être, hypothèse fragile, la définition même du cinéma moderne, qui envisagerait le film comme des couches géologiques où s'entassent, dans les interstices et les renfoncements, des vitesses alternatives et des secrets mal gardés.</div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-37605790561247818012016-03-13T16:03:00.000-07:002016-03-13T18:24:10.580-07:00Chasser le blanc : Letters home (1984), Chantal Akerman/Sylvia Plath<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-QuhCXfDTub0/VuXYzoozZnI/AAAAAAAACuU/LaTOROAS5-4txgRjFXdfMe193CDkMRK2w/s1600/355255.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="352" src="https://4.bp.blogspot.com/-QuhCXfDTub0/VuXYzoozZnI/AAAAAAAACuU/LaTOROAS5-4txgRjFXdfMe193CDkMRK2w/s640/355255.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg" width="640" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
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<a href="https://2.bp.blogspot.com/-7ckBQKMrmpI/VuYQCTz8PPI/AAAAAAAACuk/woAPAJ9Gl2Y3KMXckb6s7j8GOc6LQLeBQ/s1600/plathj.PNG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="482" src="https://2.bp.blogspot.com/-7ckBQKMrmpI/VuYQCTz8PPI/AAAAAAAACuk/woAPAJ9Gl2Y3KMXckb6s7j8GOc6LQLeBQ/s640/plathj.PNG" width="640" /></a></div>
<span id="goog_1303083543"></span><span id="goog_1303083544"></span><br />
<span id="goog_1303083543"></span><span id="goog_1303083544"></span><br />
<i>"Toutes les grandissantes visions de beauté et de monde nouveau que j'éprouve, je les paie de véritables douleurs d'enfantement." </i><br />
Sylvia Plath à sa mère en 1956<br />
<br />
Vu<b> <i>Letters home </i>de Chantal Akerman</b>, captation vidéo de la pièce de <span class="st"> Rose Leyman Goldenberg d'après la correspondance de Sylvia Plath avec sa mère, mise en scène par Françoise Merle et interprétée par Delphine Seyrig et sa nièce, Coralie Seyrig. J'aurais pu rater ce film comme je rate un nombre incalculables de ressorties mais je crois que l'association Plath/Akerman rendait la séance plus qu'impérieuse. </span><br />
<span class="st">Quel est mon rapport à Akerman ? Distancé et admirateur, je crains Akerman comme je crains trop d'heures de solitude, comme je crains toutes pensées dures, véritables, éprouvantes. Je me suis un moment obligée à voir ses films, parce qu'ils sont douloureux à regarder : non pas ennuyeux, simplement éprouvants, tristes. Il y a en eux trop de vérités pénibles, trop de lucidité mélancolique, ça agit comme une brûlure. Et je pourrais dire exactement la même chose de Sylvia Plath, mais peut-être y a t-il chez Plath quelque chose de plus dansant au bout de sa mélancolie, un sourire de folle.<br /><br />La séance devait être présentée par Antoine de Baecque qui n'a finalement pas pu venir et j'y ai vu comme une coïncidence : non, un homme ne présentera pas cette séance. C'est complètement absurde, mais ça m'amuse de voir la chose ainsi. Et peut-être que parfois les hommes doivent reculer pour que des films comme ça apparaissent. Un film d'Akerman, un écrit de Plath, c'est toujours d'abord un territoire qu'elles décident de circonscrire (la chambre), et on dit aux autres de ne pas en franchir la limite. Mais peut-être cela vaut-il pour toutes les oeuvres, dans ce cas ce que je dis est de l'ordre d'une intuition un peu bête.<br />De la vie de Plath j'en connaissais suffisamment les grandes lignes pour me repérer : les études brillantes, les nouvelles dans les magazines féminins, la carrière universitaire, Ted Hugues, les enfants, l'envie de trouver une maison et de travailler, et la dépression qui n'est que comme une interférence, quelque chose venant parasiter un emploi du temps maîtrisé. Aucun romantisme, toujours le travail, écrire écrire écrire, "écrire comme une folle" dit-elle dans ses lettres. Beaucoup de détails pragmatiques, un peu comme <i>Une chambre à soi </i>de Woolf : d'abord parler des conditions matérielles, de ce qu'il faut réunir pour pouvoir travailler, ce qu'on ferait de son argent une fois que la célébrité viendra. L'achat d'un beau manteau d'hiver, l'achat d'une maison, les cadeaux qu'on pourra faire à sa mère, l'indépendance économique. <br />Toute la première partie de <i>La cloche de détresse</i> se déroule ainsi dans la matière d'un voyage à New-York et d'un séjour dans la rédaction d'un grand magazine de mode. Puis peu à peu l'éblouissement de la blessure, l'isolement progressif, la décharge électrique de la folie (je suis tombée par pur hasard, récemment, sur le livre de Gwenaëlle Aubry sur Plath, je l'ai saisi chez Gibert sans savoir qu'il parlait d'elle puisque le titre est <i>Lazare mon amour</i>, elle parle du versant électrique de Plath, il faudrait que je lise ce livre).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="st"> Cette qualité de blanc qui surgit de l'oeuvre de Plath, non pas le blanc serein mais le blanc de la brûlure, ce quasi coma de l'âme. Et le noir de l'écriture semble être le seul à pouvoir la sauver de ce blanc. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="st"></span><br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="st">Le film est magnifique, comme tout grand film qui part d'un dispositif théâtral, ça bouge et ça vibre. D'abord les visages de Delphine et Coralie Seyrig </span><span class="st">tout beaux et maquillés, contredits par moments par les yeux mouillés de chagrin. </span><span class="st">La douceur décharnée du visage de Delphine Seyrig, avec cette voix distinguée de maîtresse, émue et intelligente, cette apparition fantastique qu'elle incarnait déjà chez Truffaut, <a href="http://www.vodkaster.com/extraits/baisers-voles-devant-mari/190394" target="_blank">Madame Tabard</a>, déjà elle-même toute habillée de blanc dans son tailleur en tweed (je crois), mangeant une poire délestée de sa peau, une poire blanche, devant le pauvre Antoine Doinel qui n'en revient pas. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="st">L'extrême souplesse d'abord, d'une correspondance transformée en pièce de théâtre, de la mise en scène de Françoise Merle à quoi vient se surajouter celle d'Akerman. Toutes choses belles dans le film, s'appuie sur une autre, est épaulée par le travail d'une autre. La beauté du film tient à ce qu'il arrive à déclencher dans nos têtes un autre film, celui des images que provoquent en nous la correspondance sans pour autant nous désintéresser de ce qu'il se passe sur scène : nous sommes rivés aux deux Seyrig. Il y a donc le film bel et bien là, et le film dans nos têtes : Plath et sa mère. La cyclothymie de Plath qui s'effondre alternativement de bonheur et de mélancolie. Un jour elle se croit invincible, le lendemain elle ne pense qu'au suicide et tout est laid autour d'elle. Toujours ces allers et venues, entre l'esprit et la matière. C'est-à-dire : l'idiotie de la matière qu'on n'arrive plus à informer par son propre esprit (la dépression), et puis les envolées où elle se dit "pleine de poèmes", d'un seul coup, trop d'esprit et le retrait de la matière. Invincible ou vaincue, et entre les deux, pas vraiment d'autres possibilités. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="st"></span><br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="st">Dans la folie et le travail se constitue à peu près la même chose : une solitude, un cogito que j'aime appeler ici féminin. Le travail, l'écriture, c'est cette ligne droite, inexorable, qu'on poursuit pour ne pas tomber, qu'on trace par dessus ce qui s'effondre. C'est la vie et les aléas de Plath : les échecs, Ted Hugues qui rencontre une autre femme, la vie domestique trop dure à assumer toute seule. Cette vie toute simple à quoi elle aspire, dénuées d'anecdotes romanesques, parce qu'elle semblait ne prétendre qu'au bonheur et au travail, à quelque chose de solide et lumineux. Je suis très émue devant cette vaillance qui à je ne sais quoi d'auto-persuasif dans les lettres de Plath, devant cette misère féminine qui se retourne en splendeur, cette affection entre une mère et sa fille, ces mots d'amour qui sont comme une étreinte, une étreinte qui permet à Plath de ne pas tout à fait s'effondrer. Comme si une étreinte servait d'abord à retenir quelqu'un d'une chute. Plath ne cesse de désirer avoir une présence à ses côtés, quelqu'un pour la soutenir. La voix rassurante, plate et chaude de Delphine Seyrig, celle riante et enthousiaste de Coralie Seyrig, peinent ici à masquer le gouffre que creuse les mots. Parfois la musique recouvre, submerge le texte qu'on peine à entendre.<br /><br /> La dernière lettre lue par Seyrig finit de lier ensemble Akerman et Plath, de défendre la chambre contre le monde, l'esprit contre la matière. Plath parle d'arpenter le monde, de connaître les gens, mais tout porte à croire qu'elle parle moins de voyages que d'expériences intérieures, fictionnelles, elle parle d'un oeil intérieur. La lettre est magnifique parce qu'elle est traversée par une euphorie inquiète, toujours déjà vacillante, détraquée, un instinct de conservation et d'amour de soi qui se fissurent à la phrase d'après, une envie d'englober le monde avant qu'il ne vous dévore. On écoute ces mots avec l'impression de voir tomber le soleil au milieu du texte et du visage de Seyrig, hop un nuage passe, puis la lumière revient. Le texte est une zone d'intempéries, à l'humeur indécidable. Alors oui peut-être que ce blanc est cette zone dans laquelle prend place l'écriture, sa condition. Et qu'écrire est moins une façon de se préserver de ce blanc que d'y tendre une corde par-dessus : on s'en préserve tout en l'arpentant, avec toujours le risque d'y tomber. Quelque chose entre un enfantement et une mort.<br /><i><br />"A partir d'aujourd'hui j'ai décidé de tenir un journal, simplement un endroit où écrire mes pensées et mes opinions. Quand je dispose d'un moment, d'une manière ou d'une autre, il faut que je préserve et retienne le ravissement d'avoir dix-sept ans. Chaque jour est si précieux, je suis infiniment triste à l'idée de tout ce temps qui fond et s'éloigne de moi à mesure que je grandis. Le moment le plus parfait de ma vie c'est bien maintenant. Je ne me connais pas moi-même, peut-être ne me connaîtrai-je jamais, mais je me sens libre, dégagée de toute responsabilité. Je peux encore monter dans ma chambre personnelle où mes dessins sont accrochés au mur et des photos au-dessus de ma commode. Une chambre qui me convient, pas encombrée, paisible. J'adore les lignes calmes des meubles, les deux bibliothèques remplies de livres de poésie et de contes de fées rescapés de l'enfance. Toute ma vie je veux être un observateur, je veux être affectée profondément par la vie mais jamais être si aveuglée que je ne verrais pas ma part d'existence avec humour, sous un jour oblique.<br /> J'ai peur de vieillir, j'ai peur de me marier. Épargnez moi les trois repas à préparer chaque jour. Épargnez moi le train-train, la routine implacable. Je veux être libre, libre de connaître les gens et leurs milieux, libre d'aller dans les diverses parties du monde. Je veux, je crois, être omnisciente. Je crois que je voudrais qu'on m'appelle la fille qui voulait être Dieu. Peut-être suis-je destinée en réalité à être classée et étiquetée mais je m'insurge contre ça. Je suis moi. J'aime ma chair, mon visage, mes membres. Je me suis construit mentalement une image idéalisée et superbe de moi-même. Cette image, exempte de toute tâche, n'est-elle pas le véritable moi ? La véritable perfection ?"</i></span></div>
<span class="st"></span><span class="st"><br /></span>
<span class="st"></span></div>
<iframe allowfullscreen="" frameborder="0" height="375" mozallowfullscreen="" src="https://player.vimeo.com/video/154832250" webkitallowfullscreen="" width="500"></iframe>
<a href="https://vimeo.com/154832250">Letters Home de Chantal Akerman Extrait</a> from <a href="https://vimeo.com/zeugmafilms">ZeugmaFilms</a> on <a href="https://vimeo.com/">Vimeo</a>.</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-11603461925228786932016-02-29T15:37:00.003-08:002016-11-08T15:32:35.853-08:00Sur Homeland : Irak année zéro, après la chute<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-TCy4LWqS06U/VtTTmnhPnuI/AAAAAAAACtg/QtNgWiZGrCs/s1600/531804.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="225" src="https://4.bp.blogspot.com/-TCy4LWqS06U/VtTTmnhPnuI/AAAAAAAACtg/QtNgWiZGrCs/s400/531804.jpg" width="400" /> </a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
Je suis allée voir la deuxième partie
de <i>Homeland : Irak année zéro </i>sous-titré<i> Après la chute</i> d'Abbas Fahdel. Il y filme cette fois-ci l'Irak, et plus particulièrement ses proches, trois mois après l'invasion de l'Irak
et la chute de Saddam Hussein. Si la tension était latente dans le
premier volet et lui donnait cet aspect d'antichambre cauchemardesque, ici elle est retombée pour laisser place à
l'anarchie la plus totale.<br />
<br />
Il y a ce marchand de journaux qui raconte que lorsque Saddam Hussein était encore au pouvoir il ne vendait que trois titres différents, désormais il en propose cinquante huit. Cette anecdote est à l'image du film que je perçois comme une flânerie
douloureuse visant à donner forme à une multitude, le peuple
irakien. <br />
Ce peuple, il n'y a pas que des hommes, des femmes et des enfants qui
le constituent : l'une des idées magnifiques du film est de progressivement élargir la définition qu'il se fait de ce peuple. Je disais que le premier volet nous montrait que ce peuple était autant composé de vivants que de morts, mais on peut aller encore plus loin. Sont inclus dans le peuple son architecture, ses bâtiments officiels, ses paysages, sa nature, ses lieux de travail, tous détruits par la guerre. Également ses musées, son cinéma, soit les moyens de le faire et de le diffuser (en temps de guerre tout semble être acculé à son aspect matériel donc destructible), c'est-à-dire les tables de montages, les salles de projection, les bobines
de film que l'on découvre dans un studio de cinéma incendié et que Fahdel visite avec un acteur irakien.<br />
A un moment
celui-ci se saisit d'une bobine qu'il embrasse, ému aux larmes. Il
visite une salle de cinéma incendiée et s'emporté : « si ces
chaises parlaient elles nous raconteraient l'histoire du cinéma ».
D'une seule phrase les fauteuils de cinéma s'animent et s'intègrent
au peuple. Plus loin c'est le sac de riz que réutilise un membre de
la famille de Fahdel pour le rationnement, celui-ci est troué, il s'exclame alors : « même les sacs nous lâchent ».<br />
Après
la chute de Saddam Hussein tout semble s'animer mais douloureusement,
et c'est l'une des plus belles choses du film que de nous faire voir une agitation toujours affligée, amputée de sa joie. Si les langues se délient ce n'est que pour exprimer la douleur d'une condition. Les hommes se réunissent spontanément dans la rue, tout
le monde parle politique, même Haidar, le neveu d'Abbas Fahdel qui à seulement 12 ans semble déjà en savoir un peu trop sur son pays. C'est notre principal guide dans ce film, et son corps
d'enfant semble ne pas avoir eu le temps d'être autre chose que politique,
historique. Tout l'enjeu de <i>Homeland </i>est peut-être là, dans
cette lutte pour que l'intime, les aspirations des êtres, leurs
études, leurs amis, leur bonheur ne se fassent pas tout à fait
mordre par l'Histoire, pour que l'Histoire recule. Et elle recule
toujours, par soubresauts, lorsque les étudiants étudient, lorsqu'ils fument dans leur salle de cours, lorsqu'ils révisent leurs
examens ou soutiennent leur mémoire.<br />
<br />
Et puis
toujours, comme dans le premier volet, les enfants, les tout petits
enfants qui sont plus petits qu'Haidar, ils sont encore nombreux aux
pieds des adultes qui parlent : ils sourient à la caméra, ils
comprennent les grandes lignes de ce qui arrivent à leur pays ou
même rien du tout lorsque ce sont des nourrissons. Lorsque Fahdel
filme une conversation animée entre adultes, parfois il recadre sur
le visage d'un enfant ou d'un vieillard qui écoute (il y a ce
mouvement de caméra incroyable où il filme à ses pieds un bébé
qui sourit pendant que son père évoque sa misère). Les enfants
sourient tout le temps, ils sont souvent silencieux, ils ne parlent
pas politique, ils rigolent avec les soldats américains, ils jouent dans les ruines et ramassent ce qu'ils
trouvent (des munitions) toujours en souriant. On dirait qu'à ce
moment-là aussi l'Histoire recule un peu, qu'elle est obligée de reculer devant
l'enfance qui l'a alors transformée en terrain de jeu. Leur apparition est moins historique que fantastique.<br />
<br />
Devant la caméra de Fahdel les enfants crient
« filme moi ! », et cela fait écho à Haidar expliquant au début de ce volet qu'un soldat américain voulait le
prendre en photo et qu'il a refusé; il ne veut pas que les
américains le prennent en photo. Plus tard on voit des irakiens se prennent
en photo avec des soldats américains. Bref on retiendra que dans le
film, ce sont des irakiens qui prennent les photos, et dans le refus
de Haidar, qui est très étonnant pour un si jeune garçon, il y a le refus de se laisser photographier, de se laisser
penser par l'occupant. Lorsqu'on se souvient des images qu'on a pu
avoir de la guerre en Irak, ces images de désolation recyclées de
journaux télévisés en journaux télévisés, on se dit que c'est
la chose la plus impérieuse et la plus intelligente que pouvait
faire Haidar, prendre soin de son image, ne pas la laisser à
d'autres.<br />
<br />
Sur ces cinq heures de projection j'ai eu l'intime
conviction que tout<i> Homeland</i> n'était au final qu'une entreprise de
remplacement d'images par d'autres. Remplacer nos images génériques
de la guerre par d'autres images, les remplacer une par une,
méthodiquement. Faire disparaître la Guerre pour faire apparaître
les drames intimes, un à un. Casser les notions abstraites pour
faire couler la multitude des récits. Car la guerre avant que d'être
image et tout d'abord récit, la mémoire que les irakiens ont de
cette guerre tient d'abord et avant tout dans les récits qu'ils en
retiennent et qu'ils s'échangent, récoltent, accumulent. Il y a le
récit des drames et les images des disparus que les irakiens tendent
à la caméra, elles aussi semblent crier comme les enfants « filme
nous ».<br />
<br />
<br />
Très vite le montage de Fahdel suit de près
les récits et se cale sur leur rythme : on lui raconte le drame qu'a vécu une mère, à la
séquence suivante il se rend chez la femme en question et ainsi de suite, remontant le fleuve sans fin du malheur. Sa caméra
circule et se trace un chemin, saute de drame en drame, ramasse, comme
les enfants, des bouts de vies ruinées. En face, dans le
contrechamp, il y a les images de la télé, les images pour tout le
monde. On nous dit que les fils de Saddam Hussein ont été tués et
leurs cadavres apparaissent à l'écran comme une preuve
irréfutable.<br />
Plus tard lorsqu'on informe le commerçant qui livre
le rationnement, il n'y croit pas. On lui dit que les corps ont été
filmés et que cela suffit à servir de preuve, mais il se méfie de
ces images qu'on lui rapporte, « ça peut être leurs sosies ». Les images sont mauvaises. Si Saddam Hussein est tombé, la télévision trône toujours, elle est comme une pythie glacée qui annonce au peuple ce qui va lui arriver.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br />
<br />
La guerre n'est ici rien
d'autre que l'arbitraire pur : des hommes et des femmes qui meurent
sous les balles des américains ou des irakiens, l'absence totale de
toute sécurité et de toute police qui acculent les familles à
l'auto-défense. On achète une arme comme on achète du riz, chacun
s'en désole et tous y sont obligés. On nous le répète souvent, le peuple irakien est un peuple bon, hospitalier, pacifique, mais si on le provoque il cherchera à se défendre. Ce ne sont pas que des mots, on sent dans <i>Homeland </i>toute cette bonté retournée, littéralement mise à sac, cette bonne complexion subitement viciée par la guerre.<br />
Parenthèse, devant le film j'ai beaucoup pensé à l'écrivain égyptien Albert Cossery, que je n'ai
pas lu depuis longtemps mais dont il me reste l'attitude de ses
personnages qui ont pour toute sagesse une forme de nonchalance
princière face à la misère et de torpeur morale face à l'injustice. Ils se conduisent face au monde de la même façon que le monde face à eux. Je repense à <i>Mendiants et orgueilleux</i>, à cette enquête policière non résolue qui finira par rejoindre nonchalamment la masse infinie des injustices non réparées. <br />
<br />
Cet arbitraire, c'est-à-dire
l'injustice, ne pouvait que dicter à Fahdel la fin de son film. <i>Homeland</i> ne pouvait être interrompu que par ce
qu'il cherchait justement à montrer. Je crois qu'à ce moment-là il n'y a même plus la place pour une morale de cinéaste, c'est-à-dire que celle-ci a eu tout le reste du film pour se déployer, mais<i> Homeland</i> ne peut se terminer qu'en se trouvant lui-même meurtri et je dirais même à l'agonie.<br />
Si le premier volet me faisait
écrire que la mort rôde, le rapport ici s'inverse complètement
dans ce deuxième volet : c'est la vie qui n'en peut plus de rôder
entre les ruines, d'errer sur fond de mort. Ce sentiment d'unité inquiète qu'on pouvait
sentir dans le premier volet est ici complètement brisé : on passe de la multitude à l'anomie, de l'anomie à l'enfer, et c'est finalement l'affliction la plus profonde, la tristesse la plus inconsolable qui dicte les derniers plans de<i> Homeland - </i>qui s'enchaînent avec une rapidité qui a tout d'une brûlure, comme si on achevait un film comme une bête.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
L'un des aspects les plus évidents du film (peut-être le moins intéressant tant d'autres plus profonds et essentiels sont à commenter) est qu'il ne peut que nous tendre un miroir et nous renvoyer, un peu honteux, au confort infini, inépuisable, de nos vies, à cette paix - pour la plupart du temps - qui plane au fond de l'air et à cette abondance toujours sous-entendue dans nos gestes. En sortant de la salle je n'ai pu que me dire qu'il était bon de vivre à Paris, mais qu'il était difficile, en début de soirée, d'y sangloter tranquillement à travers ses rues.</div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-39228604718183021712016-02-21T19:20:00.002-08:002016-03-13T18:26:44.700-07:00deux trois choses sur Le Dictateur de Chaplin (1940)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div data-contents="true">
<div class="" data-block="true" data-offset-key="5r2hj-0-0" style="text-align: justify;">
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="5r2hj-0-0">
<div class="separator" style="clear: both;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-IoSoFqHEoLE/Vsp_9n8bWeI/AAAAAAAACsU/q8EGjX2uR4Q/s1600/vlcsnap-2016-02-22-01h18m58s253.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://2.bp.blogspot.com/-IoSoFqHEoLE/Vsp_9n8bWeI/AAAAAAAACsU/q8EGjX2uR4Q/s400/vlcsnap-2016-02-22-01h18m58s253.png" width="400" /></a></div>
<span data-offset-key="5r2hj-0-0"><span data-text="true"><br /><br />Je viens de revoir <i>le Dictateur</i> de Chaplin. Encore un de ces films qui souffre certainement de ne pas être revu. Un film dont la réputation un peu trop académico-pédagogique le précède et nous en barre l'accès. A l'époque je n'avais pas été sensible à toute la radicalité du geste (généralement je ne suis pas sensible à la "radicalité" d'un geste, mais là ça compte), à l'intelligence de sa forme : on dirait que là, tous les choix opérés par Chaplin relèvent d'une sorte d'évidence éblouissante, on n'aurait pas pu faire mieux. Tout est moyen d'expression, tout dans la forme est mis à profit pour faire passer l'idée d'oppression.<br /><br />En fait d'évidence, il est certain que les quelques idées que j'ai sur le film se trouvent certainement ailleurs, sinon partout, dans d'autres textes sur le film. <br /><br />- D'abord, si déjà à l'époque la structure du film m'apparaissait non conventionnelle (il faut se rappeler que le film met 30 minutes avant de nous montrer le retour du barbier dans sa boutique), cette fois-ci je comprends ce qui motive un tel choix. <i>Le Dictateur </i>obéit à une sorte d'organisation pyramidale du récit : ce qui se décide dans les séquences avec Hynkel finit par s'abattre sur celle avec le barbier. Tout le film s'emploie à filer cette idée : des êtres ne sont plus la cause de ce qui leur arrive, ils sont dépossédés d'eux-mêmes et de leurs actions, dès lors la cause ne peut que se trouver dans une séquence étrangère, une séquence qui se trouve avant la leur, mais surtout au-dessus de là leur. Les causes se trouvent dans les séquences avec Hynkel, les effets dans les séquences avec le barbier. Quand Hynkel délibère c'est Dieu qui délibère, nous dit la structure.</span></span></div>
</div>
<div class="" data-block="true" data-offset-key="cn43o-0-0" style="text-align: justify;">
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="cn43o-0-0">
<span data-offset-key="cn43o-0-0"><span data-text="true"><i><br /><br />- Le Dictateur </i>est également un grand film sonore, un film sur la reproductibilité du son et sa faculté d'oppression, puisqu'on le rappelle, la voix et la langue (ce pur concentré de haine) de Hynkel, ces vociférations font se tordre les micros qui se trouvet placés devant lui. Plus tard ce sera le barbier et Hannah (Paulette Goddard) qui se précipiteront pour échapper à la voix de Hynkel annonçant le retour de l'oppression dans les ghettos juifs. Cette voix agit littéralement sur leur corps, elle est filmée comme une tempête dont il faut se protéger au risque d'être emporté - Chaplin exécute ainsi une danse grâcieuse et terrorisée. Entre les séquences de Hynkel et celle du barbier il n'y a finalement que les nouvelles à la radio, dans les hauts-parleurs et dans les journaux qui peuvent établir un contact, bien évidemment à sens unique. Les personnages s'informent de ce qu'il se passe et se décide de l'autre côté du film grâce aux média et la reproductibilité technique est ici sans cesse thématisée. Chaplin sait qu'il ne peut pas faire un film sur la guerre sans faire un film sur les média et c'est peut-être ce qui donne cette hétérogénéité au film qui est comme un patchwork d'humeurs, une succession de petites saynètes comportant chacune de quoi rire et de quoi pleurer, avec parfois des regards caméras, des danses, des frontpages, des discours, des intermèdes poétiques, puis soudain une volonté de documenter directement l'horreur, et tout à coup le film se rembrunit. C'est une forme d'arbitraire qui régit les humeurs du film, une sorte d'inquiétante imprévisibilité : le rapport de mimétisme entre la forme et le sujet est en cela total. </span></span><br />
<br />
<span data-offset-key="cn43o-0-0"><span data-text="true">Rien de plus limpide que ces fondus-enchaînés : </span></span></div>
</div>
<div class="" data-block="true" data-offset-key="3mhe-0-0">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-X5Ph9YMQASk/VsqIPl74osI/AAAAAAAACsk/CojzylAoTl0/s1600/vlcsnap-2016-02-22-04h59m51s188.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://3.bp.blogspot.com/-X5Ph9YMQASk/VsqIPl74osI/AAAAAAAACsk/CojzylAoTl0/s320/vlcsnap-2016-02-22-04h59m51s188.png" width="320" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-ksr1_3HjF4U/VsqITW-IjwI/AAAAAAAACso/rkYQEVMGBi8/s1600/vlcsnap-2016-02-22-05h00m23s240.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://3.bp.blogspot.com/-ksr1_3HjF4U/VsqITW-IjwI/AAAAAAAACso/rkYQEVMGBi8/s320/vlcsnap-2016-02-22-05h00m23s240.png" width="320" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-TkfdGC4bNPI/VsqITs6GeRI/AAAAAAAACss/aSoHl7BWuts/s1600/vlcsnap-2016-02-22-05h00m34s97.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://4.bp.blogspot.com/-TkfdGC4bNPI/VsqITs6GeRI/AAAAAAAACss/aSoHl7BWuts/s320/vlcsnap-2016-02-22-05h00m34s97.png" width="320" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-1aprlUnS9pk/VsqIT9VasoI/AAAAAAAACsw/A94seFF7JBU/s1600/vlcsnap-2016-02-22-05h00m39s153.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://2.bp.blogspot.com/-1aprlUnS9pk/VsqIT9VasoI/AAAAAAAACsw/A94seFF7JBU/s320/vlcsnap-2016-02-22-05h00m39s153.png" width="320" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<span data-offset-key="3mhe-0-0"><span data-text="true">- Il était évident que Chaplin devait jouer à la fois Hynkel et le barbier, tout simplement parce qu'il n'y a que comme ça que l'organisation pyramidale peut être parasitée de l'intérieur, détournée. Il n'y a que comme cela que le film éparpillé entre deux types de séquence, peut enfin se rassembler. Les séquences-barbier kidnappent les séquences-Hynkel dans l'ultime discours humaniste du barbier. Le film n'est plus deux, il est un. La hiérarchie d'alors s'évanouit, le dirigeant et l'homme du peuple se confondent et se rassemblent en une seule et même personne, un seul et même corps.<br /><br />- Comme le disait très bien Jean Narboni dans son essai qu'il a consacré au film (<i>Pourquoi les coiffeurs ?</i>, Capricci, 2010), <i>le Dictateur</i> illustre parfaitement la thèse de Walter Benjamin dans <i>L'oeuvre d'art à l'ère de la reproductibilité techniqu</i>e :<br /><br /> "<i>La possibilité de diffuser la voix d'un orateur auprès d'un très grand nombre d'auditeurs dans le temps même où il parle, et celle de présenter peu après son image devant un nombre indéfini de spectateurs font passer l'exposition de l'acteur devant l'appareil technique, et la relation qui s'ensuit avec les masses, au premier plan du processus.<br />Benjamin poursuit en débordant le cadre du jeu artistique, notant ce fait décisif que le bouleversement s'est aussi produit dans le domaine politique. L'exposition à la technique et la relation aux masses les contraignent, s'ils veulent réussir dans leur entreprise, à assumer et contrôler un certain nombre de performances dont la qualité opérera une sélection des meilleurs. Et de cette sélection, Benjamin conclut dans la première version de son essai que ceux qui sortent immanquablement vainqueurs sont le champion sportif, le dictateur et la vedette. Abandonnant le champion dans les versions ultérieures, il laisse seuls en jeu le dictateur et la vedette.</i>"<br /><br />- Si on considère<i> le Dictateur </i>d'abord comme un grand film sur la technique, c'est-à-dire un film sur les média de masse, sur la reproductibilité technique d'un dictateur et sur une moitié du film qui en opprime une autre, alors le dernier plan et surtout la dernière réplique du film finissent de nous conforter magnifiquement dans cette idée. J'avais d'ailleurs peur que Paulette Goddard ajoute quelque chose à cette dernière réplique tant celle-ci ajoute encore un degré d'intelligence au film, l'éclaire et l'informe une ultime fois. Exilés en </span></span><span data-offset-key="3mhe-0-0"><span data-text="true">Österlich qui s'apprête à être envahie, Mr Jaekel demande à Hannah si elle a entendu le discours pacifiste de Hynkel à la radio. Mais pour Hannah, et surtout pour Chaplin qui décide de terminer par cette réplique, il y a peut-être plus beau et plus important qu'un discours diffusé à la radio, plus crucial que n'importe quelle bonne nouvelle radiophonique (comme si même les bonnes nouvelles étaient de la pollution médiatique), et c'est le silence.</span></span></div>
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="3mhe-0-0" style="text-align: justify;">
</div>
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="3mhe-0-0">
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<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span data-offset-key="3mhe-0-0"><span data-text="true"><a href="https://4.bp.blogspot.com/-Jc8oIiyzwRM/Vsp2y1N_4eI/AAAAAAAACsA/xe0VXqKQ694/s1600/vlcsnap-2016-02-22-03h47m04s31.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://4.bp.blogspot.com/-Jc8oIiyzwRM/Vsp2y1N_4eI/AAAAAAAACsA/xe0VXqKQ694/s400/vlcsnap-2016-02-22-03h47m04s31.png" width="400" /></a></span></span><img border="0" height="300" src="https://2.bp.blogspot.com/-hckJkAQBR6o/Vsp20krEUYI/AAAAAAAACsE/EGMTkDq-YPE/s400/vlcsnap-2016-02-22-03h47m12s122.png" width="400" /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<b>[ajout]</b></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="" data-block="true" data-offset-key="77ug5-0-0" style="text-align: justify;">
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="77ug5-0-0">
<span data-offset-key="77ug5-0-0"><br data-text="true" /></span></div>
</div>
<div class="" data-block="true" data-offset-key="144a9-0-0" style="text-align: justify;">
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="144a9-0-0">
<span data-offset-key="144a9-0-0"><span data-text="true">il y a un autre détail qui ajoute au fait que le Dictateur est un grand film sonore. Ce sont deux scènes qui se suivent : d'abord celle où Hynkel exécute sa danse éthérée avec son ballon globe terrestre sur du Wagner. On remarque que la musique ne vient de nulle part, elle est extra-diégétique : c'est le désir de Hynkel qui la suscite, la provoque. </span></span></div>
</div>
<div class="" data-block="true" data-offset-key="38ijn-0-0" style="text-align: justify;">
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="38ijn-0-0">
<span data-offset-key="38ijn-0-0"><br data-text="true" /></span></div>
</div>
<div class="" data-block="true" data-offset-key="er8tu-0-0" style="text-align: justify;">
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="er8tu-0-0">
<span data-offset-key="er8tu-0-0"><span data-text="true">Cette scène est tout de suite suivie de la fameuse chorégraphie du barbier qui rase son client au son de la Cinquième danse hongroise de Brahms. La scène s'ouvre même sur un plan de la radio qui annonce joyeusement "Travaillez en musique". Dès lors la danse qu'exécute le barbier, bien qu'encore gracieuse, n'a plus rien de joyeux </span></span><span data-offset-key="er8tu-0-0"><span data-text="true"><span data-offset-key="4gijg-0-0"><span data-text="true">(le Dictateur est peut-être même un film sur ce que j'appelerais la grâce triste) </span></span>: elle ne prend pas appui sur le son mais est comme exigée, imposée par la musique qui sort de la radio (ici donc la source est diégétique). Ce n'est plus la danse qui suscite la musique mais la musique</span></span><span data-offset-key="er8tu-0-0"><span data-text="true"><span class="text_exposed_show">, et plus particulièrement un programme radiophonique, qui impose la danse. </span></span></span></div>
</div>
<div class="" data-block="true" data-offset-key="3rluu-0-0" style="text-align: justify;">
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="3rluu-0-0">
<span data-offset-key="3rluu-0-0"><span data-text="true"><span data-offset-key="3rq08-0-0"><span data-text="true">Pour autant, dans le Dictateur toutes les mimiques et les chorégraphies du barbier Chaplin recèle une ambiguïté : elles oscillent entre la grâce </span></span>d'un corps qui danse librement et l'oppression d'un corps balloté et tordu par des événements historiques transformés en événements sonores (l'arrivée d'une milice, les vociférations d'Hynkel et les mauvaises nouvelles radiophoniques). La fragilité dansante du corps de Chaplin, qui ne sait jamais s'il est malmené par le monde ou s'il obéit à sa volonté propre, est ici idéale pour exprimer cette ambivalence. A ce moment-là il est impossible de savoir qui remporte la manche, impossible de savoir si le barbier danse parce qu'il est libre ou parce que c'est un pantin.</span></span></div>
</div>
<div class="" data-block="true" data-offset-key="444m5-0-0" style="text-align: justify;">
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="444m5-0-0">
<span data-offset-key="444m5-0-0"><br data-text="true" /></span></div>
</div>
<div class="" data-block="true" data-offset-key="cqjas-0-0" style="text-align: justify;">
<div class="_1mf _1mj" data-offset-key="cqjas-0-0">
<span data-offset-key="cqjas-0-0"><span data-text="true">Sur cette dernière scène Narboni écrit : "en surimpression de la scène de rasage chaplinienne il n'est pas interdit de voir des cohortes de jeunes aryens blonds endoctrinés se livrant à une saine gymnastique au son du même Brahms."</span></span></div>
</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
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<br /></div>
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<span class="text_exposed_show"></span><br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="text_exposed_show"></span><span class="text_exposed_show"><br /></span>
</div>
<div class="text_exposed_show">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-_oXa-FBfZSs/VsusbidawMI/AAAAAAAACtE/4Id5P8Jjxjg/s1600/vlcsnap-2016-02-23-01h34m42s30.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://4.bp.blogspot.com/-_oXa-FBfZSs/VsusbidawMI/AAAAAAAACtE/4Id5P8Jjxjg/s400/vlcsnap-2016-02-23-01h34m42s30.png" width="400" /></a></div>
<br />
<br />
<br /></div>
</div>
</div>
</div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-90732027466917703072016-02-02T08:40:00.005-08:002016-03-13T18:27:12.782-07:00L'amour par terre / Elle et lui de Leo McCarey (Love affair, 1939)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-CGvEM4qXd5Y/VrDVKZGzrLI/AAAAAAAACp8/LVYSSbsoWjo/s1600/vlcsnap-2016-02-02-16h40m41s22.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://1.bp.blogspot.com/-CGvEM4qXd5Y/VrDVKZGzrLI/AAAAAAAACp8/LVYSSbsoWjo/s400/vlcsnap-2016-02-02-16h40m41s22.png" width="400" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Hier soir j'ai vu la première version de <i>Elle et lui </i>qui date de 1939. J'avais bien en tête la deuxième qui date de 1957 et que j'ai revu au Christine 21 pendant la période de Noël. Si je devais rapprocher McCarey d'un autre cinéaste classique, ce serait Ford, pour ce sentiment d'être toujours devant ses films aux origines mythologiques, bibliques, du cinéma américain. <i>Elle et lui </i>ne fait pas exception et la version de 1957 fait selon moi figure de canevas inamovible de la comédie romantique. Je fais l'hypothèse que c'est à cette époque, au mitan des années 50, que la comédie romantique telle qu'on la connaît encore aujourd'hui, trouve son origine (je pense à des films comme <i>Sabrina </i>de Wilder ou encor<i>e Designing woman </i>de Minnelli). Qu'est-ce qui distingue la comédie romantique du mélodrame amoureux ou encore de la<i> screwball comedy</i> ? Je dirais que la comédie romantique pose moins la question des sentiments (leur absence ou leur présence) que de la place que l'amour accorde à la réalité, ou bien que la réalité veut bien accorder à l'amour. Lorsque l'incompatibilité se résout en compatibilité c'est bien que cette place (au principe d'amour dans le réel, au principe de réalité dans l'amour) a été enfin ménagée.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Ce qui m'a frappée devant la première version de Elle et lui c'est que cette question demeurait, plus que dans la seconde, le véritable sujet du film. Ce sont deux êtres qui, uniquement par amour, décident de régresser socialement et de se remettre à travailler. Un homme et une femme qui, en choisissant l'amour ne choisissent pas l'éther romantique mais d'être enfin au monde et d'y être au travail, pour reprendre les mots de Sartre. Ils ne choisissent pas non plus la fusion amoureuse, mais précisément le contraire : avant de se remettre ensemble chacun redevient complet, autonome, part à la conquête de son monde intérieur et de son indépendance financière certes, mais surtout ontologique, pourrait-on dire. De fait, l'accident qui arrive à Terry McKay n'est là que pour temporiser encore un peu plus la rencontre. Elle décide alors de ne pas avouer son accident, de se mettre au travail, de payer elle-même sa rééducation. Son amour passe par une forme de sacrifice tout intérieur qui n'est en fait rien d'autre que du courage. J'avoue que si la première version a ma préférence c'est que je préfèrerais toujours Irene Dunne à Deborah Kerr, car elle apporte à <i>Elle et lui</i> la violence et le réalisme social du mélodrame féminin.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
C'est bien par là que le film révèle le schéma intime de la comédie romantique, entre mélodrame et comédie, entre <i>pink champagne </i>des débuts et réalisme social de la deuxième partie, entre flirt et courage des vivants. Il n'y avait que McCarey pour réaliser un tel film, que lui pour filmer l'amour comme partie d'un tout plus important, non négociable : le réel.</div>
<div style="text-align: justify;">
Qu'est-ce donc cet accident de voiture si ce n'est la métaphore même du réel entrant en collision avec une vision d'abord faussée et trop romantique de l'amour ? L'accident arrive précisément parce que Terry McKay est sur un nuage et gardait les yeux au ciel vers l'Empire State Building au lieu de regarder devant elle. Elle est donc corrigée dans son romantisme et le film rebascule à partir de ce moment-là. McKay avait déjà choisi l'indépendance économique et la "dureté de la vie", mais le propre du mélodrame est que les personnages doivent être éprouvés plusieurs fois, jusqu'à atteindre une forme de sainteté lucide (qui est le propre du jeu d'Irene Dunne dans le mélo).</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
L'éther romantique n'est plus de mise (le paquebot, l'Empire State Building), le réel inonde le film et s'annonce comme l'unique condition de possibilité de leur amour. En d'autres termes, c'est une règle définitive de la comédie romantique qu'énonce<i> Elle et lui</i> : l'amour n'est pas une ascension mais une chute dans le réel qui a tout de radieux. C'est peut-être là tout ce qui sépare le mauvais romantisme des véritables sentiments.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://3.bp.blogspot.com/-bR3l0JuGw6Y/VrDd1M3AiII/AAAAAAAACqY/lNV1RTzyWYs/s1600/vlcsnap-2016-02-02-17h30m35s25.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://3.bp.blogspot.com/-bR3l0JuGw6Y/VrDd1M3AiII/AAAAAAAACqY/lNV1RTzyWYs/s400/vlcsnap-2016-02-02-17h30m35s25.png" width="400" /></a><a href="https://4.bp.blogspot.com/-Sz4ffWxJgH8/VrDaLxc4SYI/AAAAAAAACqM/yQX69S9adzM/s1600/vlcsnap-2016-02-02-17h29m59s169.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://4.bp.blogspot.com/-Sz4ffWxJgH8/VrDaLxc4SYI/AAAAAAAACqM/yQX69S9adzM/s400/vlcsnap-2016-02-02-17h29m59s169.png" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
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<br /></div>
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<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
Travelling latéral qui descend progressivement vers Irene Dunne :<a href="https://2.bp.blogspot.com/-OHHKL2w-x6c/VrDfOWb4x2I/AAAAAAAACqs/Cg43cFPUNZU/s1600/vlcsnap-2016-02-02-17h53m39s31.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://2.bp.blogspot.com/-OHHKL2w-x6c/VrDfOWb4x2I/AAAAAAAACqs/Cg43cFPUNZU/s320/vlcsnap-2016-02-02-17h53m39s31.png" width="320" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-OHHKL2w-x6c/VrDfOWb4x2I/AAAAAAAACqs/Cg43cFPUNZU/s1600/vlcsnap-2016-02-02-17h53m39s31.png" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-QA-C5Om6D3I/VrDfPg6OLWI/AAAAAAAACq0/2b1c3Lzh-D8/s1600/vlcsnap-2016-02-02-17h53m46s108.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://1.bp.blogspot.com/-QA-C5Om6D3I/VrDfPg6OLWI/AAAAAAAACq0/2b1c3Lzh-D8/s320/vlcsnap-2016-02-02-17h53m46s108.png" width="320" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-alU611j2_sI/VrDfRn7zHQI/AAAAAAAACq8/vOR8hyhce9k/s1600/vlcsnap-2016-02-02-17h53m52s182.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://1.bp.blogspot.com/-alU611j2_sI/VrDfRn7zHQI/AAAAAAAACq8/vOR8hyhce9k/s320/vlcsnap-2016-02-02-17h53m52s182.png" width="320" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
avant d'être réunis dans le plan, à la même hauteur</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://4.bp.blogspot.com/-vnFYbDymH9w/VrDf5eDlrbI/AAAAAAAACrE/QI34KADJyfg/s1600/vlcsnap-2016-02-02-17h56m36s17.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://4.bp.blogspot.com/-vnFYbDymH9w/VrDf5eDlrbI/AAAAAAAACrE/QI34KADJyfg/s320/vlcsnap-2016-02-02-17h56m36s17.png" width="320" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<br /></div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-53047847063388893152015-11-08T16:04:00.001-08:002015-11-12T10:48:24.203-08:00Sur Housewife d'Alfred E. Green et Autumn Leaves de Robert Aldrich<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<div __gwt_cell="cell-gwt-uid-458" style="outline-style: none;">
<br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-7EcdJHeTWCY/Vj_itgYiseI/AAAAAAAAClI/WI2b6mbZ8Mg/s1600/bettie.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="http://2.bp.blogspot.com/-7EcdJHeTWCY/Vj_itgYiseI/AAAAAAAAClI/WI2b6mbZ8Mg/s400/bettie.jpg" width="400" /></a></div>
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<a href="http://3.bp.blogspot.com/-WUQmt_7dudU/Vj_itjp-mHI/AAAAAAAAClE/WAQZr0YoApU/s1600/bette.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="http://3.bp.blogspot.com/-WUQmt_7dudU/Vj_itjp-mHI/AAAAAAAAClE/WAQZr0YoApU/s400/bette.jpg" width="400" /> </a></div>
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Vu <b><i>Housewife</i> (1934) d'Alfred E. Green avec Bette Davis</b>. Un petit machin d'un peu plus d'une heure et dont je pensais qu'il s'agissait d'un de ces mélodrames d'autant plus resserrés qu'ils gagnent en pureté et en aridité. J'ai déjà la nostalgie de cet été à la Cinémathèque ponctué d'épiphanies et de déceptions davisiennes. Il fallait tout voir, parfois s'ennuyer, parfois pleurer sans arrêter. Et comme je n'ai partagé cette période qu'avec de rares amis (qui n'étaient pas là à toutes les séances) j'ai l'impression d'avoir rêvé ces films parce que je ne peux en parler qu'avec moi-même, et je rêve donc de les faire découvrir aux autres (je me souviens de J. dévasté après la projection de <i>Now, Voyager</i>) : c'est un rêve de communication. Voir un film de Davis c'est réactiver un peu de ce puissant souvenir, cet été autiste et éblouissant, même si les fichiers sont durs à trouver et que j'ai du mal à suivre sans sous-titres (je dois mettre le son à fond).<br />
Dès le début de<i> Housewife</i> quelque chose me déplaît : la musique du générique annonce une comédie, genre impropre à accueillir Bette Davis. De fait, le film est une comédie du remariage où Bette Davis n'y a finalement qu'un petit rôle : celle de la tentatrice, de l'intruse vite écartée au profit de la légitime, incarnée par l'attachante et douce <b>Ann Dvorak.</b> On y devine pourtant, un peu mais pas assez, cet exotisme que Davis charrie avec elle : on ne sait pas d'où elle vient, on ne connaît ni son passé ni ses blessures mais on en devine la profondeur. C'est le privilège des stars d'être sans passé, de ne pas être esquissé : il leur suffit d'apparaître et leur aura se charge de tout ce qu'on y projette. <br />
Cette place marginale est d'emblée inquiétante, car on ne fait pas un bon film avec Bette Davis sans la mettre au centre d'un film, ce centre féminin et obscur qu'elle seule peut habiter comme ça, avec inquiétude et stoïcisme. Mais ici elle est encore jeune, encore un peu peste, pas assez épuisée, l'actrice y est encore en pleine croissance. C'est un an après, en 1935 qu'Alfred E. Green tournera <b><i>Dangerous </i>(<i>L'intruse</i>)</b>, un des plus beaux rôles de Davis, un mélodrame cruel et cramé. <i>Housewife </i>obéit finalement à un scénario étonnamment angélique et conventionnel, incarnant le stéréotype du <i>woman's picture</i> tel qu'on se l'imagine, brandissant une sorte de propagande conjugale normalement très étrangère au bon film de femme. Il n'en reste pas moins intéressant pour ce qu'il dit de l'actrice, qui tout au long de sa carrière, sera soigneusement et sublimement maintenue en dehors de tout bonheur conjugal, donc rejetée en dehors de toute comédie du remariage. Le bonheur des autres, elle le menace, le sien propre, elle le détruit avec une gourmandise toute masochiste.<br />
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<a href="http://3.bp.blogspot.com/-ONRii5HHyqM/Vj_c-2LdTsI/AAAAAAAACkk/QgWH10AIOQM/s1600/vlcsnap-2015-11-09-00h35m44s95.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="350" src="http://3.bp.blogspot.com/-ONRii5HHyqM/Vj_c-2LdTsI/AAAAAAAACkk/QgWH10AIOQM/s640/vlcsnap-2015-11-09-00h35m44s95.png" width="640" /></a></div>
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<a href="http://3.bp.blogspot.com/-8rN0GUgzzl0/Vj_dCRxpNCI/AAAAAAAACk0/_hsfuQgOeXk/s1600/vlcsnap-2015-11-09-00h32m25s160.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="350" src="http://3.bp.blogspot.com/-8rN0GUgzzl0/Vj_dCRxpNCI/AAAAAAAACk0/_hsfuQgOeXk/s640/vlcsnap-2015-11-09-00h32m25s160.png" width="640" /></a></div>
<br /></div>
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<b><i>Autumn leaves</i> (1956) de Robert Aldrich </b>commence comme un drame sentimental : le générique s'égrène sur "Autumn leaves" interprété par Nat King Cole, standard langoureux et mélancolique qui pour un moment nous fait oublier que l'on se trouve chez Aldrich.<b> </b>Joan Crawford y incarne Millicent Wetherby, une dactylo de quarante ans qui travaille à son compte et qui a passée toute sa vie à s'occuper de
son père, négligeant ainsi sa vie amoureuse. Le premier mouvement du film, magnifique, dépeint la solitude de Millicent : une femme dont l'indépendance n'est que l'envers<br />
d'une profonde solitude. Il est beau de voir avec quelle
simplicité muette et méticuleuse Aldrich se penche sur le quotidien de
cette femme, tantôt galvanisée par sa liberté, tantôt coupée dans son
élan par une solitude qui l'étreint par surprise. Je n'ai pas vu tous
les films d'Aldrich mais j'ai le sentiment qu'<i>Autumn leaves</i> révèle plus
qu'ailleurs, parce qu'il se trouve là à l'état d'épure, toute la
vulnérabilité, la fragilité presque honteuse, obscène, des personnages
aldrichiens qui sont tous de <i>grands malades </i>(avec cette attention portée ici aux seconds rôles, aux vieilles dames, ces voisines de solitude). La
perversité qui les entoure y est tellement corrosive qu'elle finit par
s'infiltrer en eux, à même leur peau (le masque de maquillage de Bette
Davis).Ils sont détraqués, encrassés par la solitude et le mal-être. Dans<i> Autumn leaves</i> c'est le corps épais, fragile et
complexé de Joan Crawford en maillot de bain, un corps que l'on sent
intouché depuis des lustres et qui a perdu l'habitude d'être regardé. J'aime profondément ces films sur des personnages épuisés de solitude, ici Aldrich dépeint comment une soirée passée en solitaire est tout à la fois galvanisante et asphyxiante : tout peut arriver mais rien n'advient jamais. C'est là peut-être la première occurence de la folie dans le film.<br />
On est ici encore loin du pessimisme farcesque des années
60 (<b><i>Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, Hush, hush...sweet Charlotte, The Killing of Sister George...</i></b>),
mais déjà, solitude et amour ne sont que des modalités de la folie : on ne sort jamais de la folie puisque chez Aldrich, sa
caractéristique est d'être partout, jusque dans la forme même du film,
qui peut faire penser au <b><i>Lolita</i></b> de Kubrick. Une forme qui progressivement s'infecte, une forme toujours en crise et dont il faut toujours attendre qu'elle s'écartèle, qu'elle devienne schizophrène : la bleuette se retourne alors en drame psychiatrique. Il y a toujours chez Aldrich des plans vacillants, mentaux, filmés depuis le point de vue de cette folie.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
Cette première partie est la plus belle du film et rappelle ce que peut être le <i>woman's picture</i> crawfordien : d'une tonalité tout autre que celui de Bette Davis. Plus domestique, plus atone et fébrile, plus réaliste et moins métaphysique, et tout cela est à prendre comme des qualités. Millicent rencontre Burt, ils sont comme deux morceaux de solitude qui se reconnaissent. La solitude de Millicent lui a appris à se méfier, elle sait que la solitude peut la conduire à se précipiter, à tout ressentir trop fort, à s'enthousiasmer pour des choses qui n'en valent pas la peine. Tandis que Burt, conscient de tout cela, préfère écouter sa folie solitaire et s'agripper à Millicent sans se demander si c'est par besoin de mettre à terme à sa solitude ou parce qu'elle lui plaît réellement. Il y a déjà là, dans cette fougue et cette impulsivité, un peu des
signes avant-coureur de la folie de Burt, qui sera le deuxième mouvement
du film.<br />
Car Burt a un passé qui le hante, ce qui le rend mythomane, violent et schizophrène. Millicent encaisse (les coups) par amour jusqu'à ce que cela ne devienne plus vivable : elle décide alors de l'interner. Comme lui dit le psychiatre, dans ce discours scientifique simplifié comme Hollywood sait si bien le faire : si on le guérit de sa névrose on risque aussi de le guérir de ses sentiments pour Millicent. D'où un suspense sentimental qui se joue sur les dernières minutes du film : le style d'Aldrich nous laisse présager que tout cela finira mal, que Burt ne reconnaîtra pas Millicent. Mais c'était sans compter sur cette première partie si douce : Aldrich aime trop ses deux personnages pour les sacrifier sur l'autel de son cynisme. Il existe quand même toujours chez lui un petit coin, une petite marge par où les héros peuvent tenter de résister à la pourriture ambiante, et aux yeux d'Aldrich, cette lutte vaut toujours quand même quelque chose même si elle est désespérée (<i>La cité des dangers</i>). Le mal est désormais tout intérieur, il attaque la peau, les sentiments, les perceptions et ces personnages sont toujours à deux doigts de devenir des zombies ou des jouets mécaniques. Chez Aldrich, on répond toujours à la folie par la folie, mais certaines valent plus que d'autres : il y a celle qui a un visage et un corps, et celle, inquiétante et aveugle, qui n'en a pas et qui est tout simplement l'air vicié de l'époque.</div>
<br /></div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-35242702713193347812015-08-10T07:51:00.001-07:002015-08-10T08:29:04.572-07:00Sur John Flynn et Johnny Guitar <div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-Qbpdx-N2ng8/VcfS5JlCMBI/AAAAAAAACdw/RsyaosIleNY/s1600/rolling-thunder.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="360" src="http://2.bp.blogspot.com/-Qbpdx-N2ng8/VcfS5JlCMBI/AAAAAAAACdw/RsyaosIleNY/s640/rolling-thunder.jpg" width="640" /></a></div>
<br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<b>Rétrospective John Flynn à la Cinémathèque</b>. Je commence avec<i style="font-weight: bold;"> The Outfit</i> dans une salle presque pleine. Je m'asseois à côté de Y., à l'issue de la séance j'ai le sentiment qu'il a aimé le film, il n'en est rien : cette torpeur que je lui décris, le mène, lui, "à la limite de l'endormissement". Cette absence de virtuosité, je la mets sur le compte de sa réussite, pas lui.<br />
J'ai pris l'habitude de voir surgir durant la projection d'un film des mots qui pourraient le résumer, être comme des sortes de balises dans l'idée d'une potentielle critique. The Outfit en quelques mots : torpeur, calme, film poisseux, méticulosité placide du revenge movie,. Bien loin d'une sorte de "dépense" bataillienne ou de décharge formelle. Les films de Flynn ont ceci d'incroyablement plaisants qu'ils mêlent le formatage du genre tout en laissant toute la place au geste d'auteur. Ce serait même trop bête d'opposer les deux, tant l'un est coulé dans l'autre, tant Flynn semble ne s'épanouir que dans une heureuse contrainte. Comme si le genre et ses codes étaient le squelette du film sur lequel viendrait s'accrocher la chair du geste d'auteur. Mais ces oppositions sont bien insatisfaisantes, dans la mesure où chez Flynn et chez les grands cinéastes, elles n'existent pas. C'est une même pâte homogène, dont les ingrédients restent indissociables.<br />
<br />
D'où le sentiment d'une terrible harmonie, profondément jouissive à constater, et d'une maîtrise tranquille et humble, jamais démonstrative. John Flynn n'affiche à aucun moment un morceau de bravoure qu'il arracherait à son film, il y a chez lui la tranquillité et la décontraction de l'artisan, jamais inquiet quant à savoir à quel moment son film lui appartiendra, à quel moment il pourra y apposer sa signature, aucune démonstration de puissance donc, mais une sûreté du geste. Cette absence d'hystérie et ce calme sont d'ailleurs la véritable preuve de virilité pour un cinéaste (au sens d'affirmation de soi), et c'est sans doute ce qui me touche le plus chez Flynn, du moins dans<i> The Outfit</i>.<br />
<br />
Et si les acteurs sont toujours un reflet de leurs auteurs, on comprendra que Robert Duvall (<i><b>The Outfit</b></i>) et James Woods (<i><b>Best Seller</b></i>) soient aussi émouvants chez Flynn. D'abord Duvall, dont la qualité de la présence tient de la qualité du bois : épais, solide, silencieux, imposant. Non pas donc <i>stone</i> face mais <i>wood face </i>et même <i>wood body</i>. Que ce soit James Woods (<i><b>Best Seller</b></i>), William Devane ou Tommy Lee Jones (<i><b>Rolling Thunder</b></i>), le héros flynnien fait preuve d'une obstination à toute épreuve. Résolu et impassible, ces qualités n'en font pourtant pas d'eux des êtres froids, mais bien tout le contraire : leur capacité être affectés par quelque chose ne tient en rien à leur capacité à exprimer, extérioriser cette affection, mais bien à "encaisser". Encaisser jusqu'à un certain point : puisque les héros flynniens encaissent dans la mesure où ils se savent sur le point d'être vengés. C'est le scénario on ne peut plus schraderien de <i>Rolling Thunder</i> que Schrader devait initialement réaliser. On voit très vite comment les obsessions de Schrader se coulent idéalement dans les marottes de Flynn, même si l'on peut évidemment déplorer la débauche de violence finale, qui dans leur outrance rappelle la figuration fantasmatique que Schrader se fait de l'enfer (une maison close donc). Le film change de régime, parce qu'à cet instant il devient mental, et que ce n'est qu'en devenant mentale, irréelle, que la vengeance, chez Schrader, peut avoir lieu (la fin de Taxi Driver). </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
On pense aux cinéastes classiques (Ford, Walsh, Ray), pour cette efficacité généreuse, cette façon d'être tout à la fois expéditif et attentif, notamment concernant les personnages secondaires qui, en quelques scènes, vibrent de toute leur présence. Cette façon de donner un maximum d'amplitude aux personnages secondaires concerne surtout les personnages féminins. Mais déjà cette phrase mérite, chez Flynn, d'être doublement corrigé : il n'y a pas de personnages secondaires de la même façon qu'il n'y a pas de personnages féminins qui viendrait servir de "touche féminine" à un film (de ce point de vue, j'ai d'ailleurs la nette impression que les femmes étaient mieux loties à l'âge du classicisme que dans les années 70) : il n'y a que des personnages. Ce n'est pas parce qu'un personnage apparaît moins longtemps qu'un autre dans un film qu'il doit être moins bien dessiné, bien au contraire, il prend de l'ampleur par la simple force de suggestion du cinéaste. La pudeur flynnienne, dans tout ce qu'elle ne montre pas et ne dit pas et dans tout ce qu'elle suggère (la solitude de Jane Greer dans <i>The Outfit</i>), arrive à créer ce sentiment d'intimité complice entre deux êtres, entre deux hommes ou entre un homme et une femme. </div>
<div style="text-align: justify;">
Pudeur, comme art de suggérer plutôt que de montrer, s'il ne devait rester qu'un mot pour qualifier le cinéma de Flynn ce serait d'ailleurs celui-là.</div>
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<br /></div>
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<a href="http://1.bp.blogspot.com/-N0PARrjeoo4/VceEQoX0ssI/AAAAAAAACdU/SPdLqAbGeh8/s1600/johnnyguitar_4.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="http://1.bp.blogspot.com/-N0PARrjeoo4/VceEQoX0ssI/AAAAAAAACdU/SPdLqAbGeh8/s400/johnnyguitar_4.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://4.bp.blogspot.com/-_9j6qtLc2KA/VceEXEFy4YI/AAAAAAAACdc/zjgTupeDY20/s1600/johny.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="http://4.bp.blogspot.com/-_9j6qtLc2KA/VceEXEFy4YI/AAAAAAAACdc/zjgTupeDY20/s400/johny.jpg" width="400" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
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Se faufiler parmi la foule tranquille des touristes pour aller, à l'autre bout de Paris, vérifier quelque chose, vérifier qu'on a bien vu un film, vérifier la conformité de son souvenir. En l'occurrence, <i style="font-weight: bold;">Johnny Guitar, </i>dans une copie magnifique qui restituait la limpidité de l'air, le poids et la matière de chaque objet, toute la force tellurique du film dont le souvenir, très lointain, est comme une flamme rougeoyante. Il me restait le souvenir d'un film extrêmement figé, pétrifié par sa nervosité, et où le seul mouvement est introduit par des jeux de regards, c'est-à-dire par le montage : immobilisme des corps et mobilité de la mise en scène. Les corps sont tendus, aux aguets, chacun semble retenir de toutes ses forces la violence des affects (haine ou amour) qu'il possède en lui. La sécheresse figée de la mise en scène tient à ce que chaque plan tente d'afficher le masque d'une impassibilité tourmentée, qui se retient d'exploser. Jusqu'à la scène ultime où Dancing Kid et Emma, finalement les deux seuls vrais instigateurs de la violence, meurent, faisant tout de suite retomber toute l'électricité du film, le soulageant complètement - cette véritable boule de haine qu'est Mercedes McCambridge, qui ne lâche à aucun moment ce masque de petit garçon à la fois vipérin et frustré.</div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Johnny Guitar</i> est en fin de compte un film autant énervé que languissant : langueur des esprits des deux femmes qui aiment deux hommes fuyants contre nervosité des corps et des comportements qui, s'ils se touchaient, s'enflammeraient certainement. Le frottement de ces deux ambiances paradoxales (mollesse des âmes contre raideur des corps) finit de produire un souvenir du film qui est aussi étrange que marquant, parce qu'on ne sait plus si on vient de voir un grand film lyrique ou un western écorché.</div>
<div style="text-align: justify;">
La langueur est elle entièrement contenue dans la chanson de Peggy Lee dont j'avais le souvenir qu'elle retentissait à un moment dans le film, or elle n'apparaît qu'à la toute fin même si l'air ne cesse d'être joué à plusieurs reprises à des moments surprenants, comme un violent ressac. L'utilisation de la musique apporte, dès le générique du film, quelque chose de déjà dramatique, comme si le passé éclaboussait le présent, et dans son imprévisibilité, elle agit sur le film comme un retour du refoulé, contenant tout le mouvement qui s'est absenté des corps. </div>
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Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-2005753390327204222015-03-29T20:42:00.000-07:002015-03-29T21:43:20.708-07:00Un premier remède : The Long Goodbye de Robert Altman<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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<a href="http://1.bp.blogspot.com/-TMsoRy4kWOA/VRi_4z3QA5I/AAAAAAAACY8/bX8gF4bV4a0/s1600/longgoodbye.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-TMsoRy4kWOA/VRi_4z3QA5I/AAAAAAAACY8/bX8gF4bV4a0/s1600/longgoodbye.jpg" /></a></div>
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Je ne revois pas souvent <b><i>The Long Goodbye</i></b> bien que ce soit un film dans lequel je me vois, un de ces films qui résument ce que devrait être le cinéma pour moi, et sur lequel j'ai toujours voulu écrire ne serait-ce que pour me rapprocher de son secret. La sortie d'<b><i>Inherent Vice</i></b> a été l'occasion pour moi de repenser à ce film et d'aimer en partie le film de P.T. Anderson pour ce que j'y percevais du film d'Altman (des hommages conscients, une atmosphère à la fois détraquée et douloureuse). Puis je l'ai enfin revu avec un ami qui ne l'avait pas vu, plaisir décuplé donc, parce que celui à qui nous faisons découvrir quelque chose nous fait le cadeau de son innocence et que nous pouvons alors camper alternativement la position de celui qui revoit et de celui qui voit pour la première fois.</div>
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J'ai toujours eu une sympathie illimitée pour Robert Altman, qui s'explique d'autant plus qu'il reste un cinéaste assez mal aimé à la filmographie incroyablement imparfaite. Pour moi Altman a plus quelque chose de l'<i>entertainer</i>, de l'homme de télé ou du gérant de cirque que de l'auteur - alors qu'il en est un, mais c'est une façon pour moi de dire qu'Altman n'a jamais dû se penser comme un auteur et simplement faire des films, et c'est ce qui rend sa filmographie si incroyablement fourmillante, chaotique, précisément comme le sont ses films.<br />
Je l'ai aimé très vite et très tôt, comme un beau caillou qu'on est le seul à trouver beau, comme un des secrets de ma cinéphilie. Je me souviens de<b> <i>Brewster McCloud</i> </b>à l'Action Ecoles, de <b><i>Prêt-à-Porter</i> </b>au Forum des images, de <b><i>The Last Show</i></b> au UGC La Défense (je ne savais pas encore qui était Altman), de <i><b>Trois Femmes </b></i>et de <i><b>The Long Goodbye</b></i> sur mon ordinateur, du choc qu'avait été<b><i> Short Cuts</i></b> au lycée, puis enfin de la rétrospective à la Cinémathèque où j'ai pu quasiment tout voir. Souvent je trouve qu'il rate ses films par excès d'enthousiasme et absence de maîtrise, comme si finir un film consistait à se rapprocher du défoulement : Altman est parfois impatient d'aller chercher l'hystérie collective, ce moment où son groupe d'acteurs forme enfin un seul et même corps, et il le fait souvent à n'importe quel prix. Ses films donnent le sentiment de contenir un peuple entier : l'Amérique y est dépeinte comme une parade de personnages qu'il faut mener à un certain point d'hystérie, jusqu'au moment où ça craque : le spectacle qui se détraque, le mécanique sous l'humain, c'est ce qui semble l'intéresser.<br />
<br />
<br />
C'est peut-être ce qui rend si beau et si singulier <i>The Long Goodbye</i>, film antérieur à la majorité de ses films-peuples : le fait que pour une fois, Altman (qui n'a évidemment pas filmé que des groupes) s'en tienne là à la simple silhouette nonchalante et mélancolique d'Elliott Gould (on peut aussi penser à John McCabe) qui glisse le long du film comme ont toujours glissé les détectives : leur effacement, bien que dicté par leur métier, a toujours quelque chose d'une métaphysique. Le détective comme personnage conceptuel : sans attaches, stoïque, qui a la mélancolie du dandy sans en avoir les avantages, qui s'efface pour laisser toute la place aux autres, pour récolter toute leur folie - Marlowe, c'est au fond un peu Altman, une sorte de chat qui se glisse silencieusement entre les jambes de ses personnages et les observe placidement. <br />
<br />
Le détective c'est méthodologiquement celui qui doit s'en tenir à la ligne claire. Non assignable à un passé, Marlowe est tout entier défini par ses habitudes, par "ses trucs à lui". Le film recèle en lui-même de trouvailles géniales : Philip Marlowe passe son temps à se parler à lui-même, il cherche son chat pendant tout le film, allume ses cigarettes en craquant des allumettes sur les murs (on m'avait raconté que ces allumettes dangereuses, sont désormais interdites puisqu'elles pouvaient s'enflammer au moindre frottement) et ne cesse de répéter "It's ok with me". ll reste a cet homme sans passé la singularité de ses manies solitaires. L'ouverture du film est un sommet de nonchalance : les dix premières minutes du film sont consacrées à un chat qui a faim, comme si le film paressait, tardait à vouloir commencer et, engourdi, s'étirait le temps de ces dix longues minutes.<br />
<br />
Sur le soliloque, Wilder est le seul cinéaste qui me revient en tête, dans <i><b>Sept ans de réflexion</b></i> il faisait parler tout seul Tom Ewell pendant toute la durée du film, accroissant le sentiment de solitude estivale et la misère sexuelle de son antihéros. Le soliloque, c'est un artifice de cinéma incroyable et beaucoup trop sous-exploité. Dans les deux cas, chez Altman comme chez Wilder, les deux héros ont l'air de personnages de bande-dessinée avec des bulles de pensées qui leur sortent de la tête.<br />
<br />
<i><b>The Long Goodbye</b></i> annonce les films-peuples à venir dans cette façon qu'il a de se distendre encore et encore jusqu'à accueillir le maximum d'hétérogénéité. C'est l'une des règles et l'un des défis du cinéma d'Altman : remplir des films à ras-bord, ne pas trier, y mettre tout ce qu'on y trouve, jusqu'à ce que ça craque, jusqu'à l'embouteillage. <i>The Long Goodbye</i> est d'autant plus beau qu'il crée une sorte de contrepoint silencieux et observateur qui se fait le témoin amer de toute une série de personnages détraqués. Le film possède son centre, sa mesure : c'est Philip Marlowe, fermement arnaché à ses habitudes et à son costume.<br />
<br />
Hétérogène, et donc par définition digressif. Digression d'une séquence par rapport à une autre, digression à l'intérieur du plan, digression des dialogues : tout est sur le mode digressif puisque le film se vit comme un élastique qui teste ses limites. <i><b>The Long Goodbye</b></i> nous perd ainsi dans les méandres de son intrigue alambiquée qui digresse en même temps qu'elle fait avancer son enquête. Le rythme faussement nonchalant et décontracté nous distrait d'ailleurs de l'intrigue voire nous fait rater certaines scènes - au bout de la troisième vision je découvre encore des scènes cachées dans les plis de ma distraction. <i>Inherent Vice</i> doit beaucoup à<i> The Long Goodbye </i>dans la mesure où les deux films donnent le sentiment d'être construit d'un seul tenant, d'être une longue et immense nappe de musique et d'images qui renfermerait dans toute son intégrité l'atmosphère d'une ville et d'une époque. <br />
<br />
Que l'altérité fasse partie du même, c'est le principe que matérialise parfaitement la bande originale du film uniquement composée de diverses interprétations d'une même chanson composée par John Williams - jusqu'à qu'elle soit jouée par la sonnerie d'un portail. Ce même air joué partout fini de lier distraitement entre eux tous les personnages, de les lier d'un lien transparent et non contraignant, de les réunir en leur laissant toute leur liberté -ils sont solidaires d'une même intrigue mais pas déterminés par elle.<br />
Pour cette raison même le souvenir du film ne cesse de vibrer de son atmosphère, parce que tout y est à la fois unité et hétérogénéité, parce que se remémorer <i>The Long Goodbye</i> c'est se souvenir d'une intrigue floue mais d'une atmosphère puissante. Le film comme totalité, ne déforme pas ce qu'il englobe, mais c'est précisément tout ce qu'il contient qui finit par lui donner sa forme. C'est ce que je retiens de<i> The Long Goodbye,</i> c'est pour cette raison que j'y trouve ce que doit être le cinéma : l'idée qu'un film circonscrit un espace de liberté pour ses personnages, qu'un film doit être une marionnette entre les mains de ses personnages, et non pas l'inverse.<br />
<br />
<br />
<br /></div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-71220331248138455082015-02-10T20:34:00.001-08:002015-02-10T20:49:09.684-08:00Spione de Fritz Lang (1928)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-DJ6yIfh-8xs/VNrbWtA0tLI/AAAAAAAACXI/jccrNahkgFQ/s1600/spies.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-DJ6yIfh-8xs/VNrbWtA0tLI/AAAAAAAACXI/jccrNahkgFQ/s1600/spies.png" height="484" width="640" /></a></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-right: 1.61cm;">
<br />
Cet article est initialement paru en anglais, il accompagnait l'édition DVD américaine de "Spione" éditée par Masters of Cinema. <br />
<br />
<span style="font-size: large;"><b>The Void Machine</b></span><span style="font-size: medium;"><span style="font-size: large;"><b><br /></b></span></span><br />
<a name='more'></a><span style="font-size: medium;"><br />Réalisé
en 1928, </span><span style="font-size: medium;"><i>Les Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
(</span><span style="font-size: medium;"><i>Spione)</i></span><span style="font-size: medium;"> est l'avant
dernier film muet de Fritz Lang, il s'agit encore d'une adaptation
d'un roman de Thea Von Arbou qui s'occupa d'écrire la quasi-totalité
des scénarios des films de son compagnon jusqu'à ce qu'il migre aux
Etats-Unis. Pour son roman, sortie en même temps que le film, Von
Harbou s'inspirera de l'affaire « Arcos Raid » :
une affaire d'espionnage qui avait fait grand bruit dans le
Landerneau londonien en 1926: Scotland Yard découvre que derrière
une société de commerce soviétique se cache un nid d'espions. Pour
son scénario Lang expurgera le roman de toutes ses connotations
politiques pour ne plus garder qu'une lutte stratégique qui pourrait
prendre place dans n'importe quel contexte.<br /> <br />Fritz Lang s'est
très peu prononcé sur </span><span style="font-size: medium;"><i>Les Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
mais l'avait qualifié de « petit film mais avec beaucoup
d'action», formule restée célèbre mais qui tend à nous faire
poser un regard légèrement condescendant sur le film. En fait de
« petit film », celui-ci reste certainement le plus
sous-estimé de sa première période allemande, éclipsé par les
monuments pyrotechniques que sont </span><span style="font-size: medium;"><i>Metropolis</i></span><span style="font-size: medium;">,</span><span style="font-size: medium;"><i>
Les Nibelungen, La femme sur la Lune</i></span><span style="font-size: medium;"> ou
encore le </span><span style="font-size: medium;"><i>Docteur Mabuse</i></span><span style="font-size: medium;">.</span><span style="font-size: medium;"><i>
Les Espions</i></span><span style="font-size: medium;"> diffère clairement de cette
liste en ce qu'il n'a rien de monumental et se rapproche davantage de
l'esprit des </span><span style="font-size: medium;"><i>serials.</i></span><span style="font-size: medium;">
C'est d'abord le fait de contingences économiques : après
l'échec financier de </span><span style="font-size: medium;"><i>Metropolis</i></span><span style="font-size: medium;">,
l'UFA est à deux doigts de rompre son contrat avec Lang. Un moyen
terme sera trouvé : le budget du film ne devra pas dépasser
les 800.000 marks et Fritz Lang en profitera pour lancer sa propre
maison de production afin de participer aux frais. Le budget limité
(</span><span style="font-size: medium;"><i>Metropolis </i></span><span style="font-size: medium;">dépassait
son budget prévisionnel de 7 millions de marks) lui donne
l'occasion de renouer avec le film à sensations qu'il avait délaissé
depuis </span><span style="font-size: medium;"><i>Les Araignées</i></span><span style="font-size: medium;">.<br />
<br /> Le souci d'économie s'en fait clairement ressentir et
transforme évidemment jusqu'au style de Lang qu'un critique comme
Jacques Lourcelles a pu qualifier de « réalisme abstrait ».
Devant </span><span style="font-size: medium;"><i>les Espions</i></span><span style="font-size: medium;"> on
est tenté de penser davantage au film noir américain qu'au cinéma
allemand de l'époque. Bien que sous-estimé, </span><span style="font-size: medium;"><i>Les
Espions</i></span><span style="font-size: medium;"> reste considéré comme une oeuvre
qui posera pour longtemps les codes du film d'espionnage, genre qui,
à cette époque est plus anglo-saxon que germanique. En plus de
poser la grammaire d'un genre, </span><span style="font-size: medium;"><i>Les Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
surprend par son aspect visionnaire à l'intérieur même de la
filmographie de Fritz Lang puisqu'il annonce précocement sa
période américaine. Si l'on peut considérer les films
précédemment cités comme d'énormes cathédrales
cinématographiques, </span><span style="font-size: medium;"><i>Les Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
aurait quant à lui la sobriété et la froideur d'un bâtiment
moderne aux lignes épurées. C'est moins un travail d'édification
que d'extraction de matière : Lang semble creuser un long
co</span><span style="color: black;"><span style="font-size: medium;">uloir formel avec
l'action comme seul outil et comme unique visée – Lourcelles parle
ainsi de « behaviorisme » langien. Il n'y a ici plus
aucune trace d'expressionnisme et d'ailleurs Lang ne s'est jamais
réellement identifier à un cinéaste expressionniste. C'est même
tout le contraire que nous indique certaines de ses habitudes,
notamment celle qui consistait à demander à ses chefs-opérateurs
« non pas de la belle photo mais de la photo
d'actualités », comme il le dira en entretien avec
Bogdanovitch, ou encore son obsession consistant à élaborer ses
films à partir de faits d'actualité– derrière les péripéties
</span></span><span style="color: black;"><span style="font-size: medium;"><i>des Espions</i></span></span><span style="color: black;"><span style="font-size: medium;">
se cache une dizaine de faits réels contemporains du film, allant de
l'invention de la micro-caméra, aux suicides contraints, en passant
par les assassinats politiques. </span></span><span style="font-size: medium;"><br /><br /><br />Lang
tenait particulièrement à ce que les scénarios de ses films
trouvent leurs premières impulsions dans la réalité et lisait avec
une infinie précaution les journaux du jour, donnant une caution réaliste aux événements macabres qu'il
s'apprêtait à filmer. En s'inscrivant dans une veine réaliste ces
films gagnent en lucidité et en capacité d'effroi, comme s'il
fallait faire la lumière sur chaque circonstance, éclairer chaque
parcelle de réalité avec la même sévérité clinique et la même
objectivité documentaire – c'est aussi par là que passe la
dimension édifiante de son cinéma. Cette obsession pour le document
et le détail trouvera son plein épanouissement avec <i>M. le Maudit</i>.
Ce que </span><span style="font-size: medium;"><i>Les Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
gagne à être exact c'est davantage une puissance de la mise en
scène et une atmosphère de vraisemblance qui sert toujours de tremplin à
Lang pour frôler l'abstraction.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-right: 1.61cm;">
<span style="font-size: medium;"><br /></span><span style="font-size: medium;"><i>Les Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
n'échappe ainsi aucunement à la méthode langienne mais n'en reste
pas moins un film au réalisme trouble. Cela doit évidemment venir
du genre lui-même, de la représentation des espions qui associe
adéquatement documentation poussée et vision fantasmée du monde de
l'espionnage – en un mot, un territoire rêvé pour Lang. Sa mise
en scène y est ici comme une longue toile tendue sous laquelle
l'invisible vient affleurer par signes, gestes, indices. Elle est la
carte tentant de rendre compte d'un territoire secret toujours plus
vaste, qui semble s'étendre à perte de vue, tellement s'étendre
qu'on ne saurait dire où il commence et où il se termine et s'il
existe vraiment. Sur la dimension cryptique et finalement « vide »
du film d'espionnage (au sens où le McGuffin n'a aucun contenu et
n'est qu'un prétexte) Lang y joue avec dérision, notamment lorsque
un homme venu chercher une lettre à la poste restante présente au
guichet une racine logarythmique censée décliner son identité.
Les chiffres sont nombreux dans </span><span style="font-size: medium;"><i>les Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
et tout indique qu'il ne faut pas chercher à les déchiffrer :
il faut les laisser là, dans leur simple état de surfaces – on
sait que cette surface comptera beaucoup dans ses films.<br /><br />Sous ses allures de territoire codé, scellé, opaque,
le film d'espionnage n'est lui-même qu'une surface : la
circulation de l'information vaut plus que l'information elle-même –
puisqu'il n'y en a pas. Les Espions possède une intrigue complexe
qui ne cesse de se ramifier dès ses premières minutes, jusqu'à ce
que le cœur de l'intrigue se dissolve. Lang ne cherche en rien à
nous la simplifier, il semble précisément faire le contraire, nous
dire que le sens est comme perdu d'avance et que pour cette raison
même nous pouvons nous autoriser à accélérer au profit de
l'action pure, nettoyée de toutes ses scories. <br /><br /> C'est une
succession d'attitudes, de gestes, de regards, de silhouettes et
d'ombres qui composent avant tout l'atmosphère vénéneuse des
</span><span style="font-size: medium;"><i>Espions</i></span><span style="font-size: medium;">, comme si un
plan, l'esquisse d'un geste, pouvait contenir toute la puissance
d'évocation d'une scène entière. Lang condense et taille au
maximum chaque plan pour qu'il puisse briller par lui-même, pour
qu'il fasse passer à lui tout seul la mise en scène. Solution
merveilleuse trouvée à la limitation des moyens : l'utilisation
très fréquente du gros plan, qui évite ainsi la débauche de
décors qu'aurait exigé le plan large. Du gros plan généralisé à
tout le film, de là, l'abstraction étendue à tous les niveaux :
abstraction des lieux, des motifs des personnages, abstraction
psychologique également, puisqu'il ne s'agit jamais d'une analyse de
caractères, tout se voue et se dévoue à la seule marche du
suspense, de la tension. L'indistinction règne, on est déjà loin
de l'ancrage et du commentaire sur l'époque auquel nous avait
habitué Lang. <br /><br /> D'où l'impression d'un film très dense à
la fois narrativement et esthétiquement, puisque les péripéties
entraînent avec elle un souci d'efficacité permanent, sans temps
mort, où inserts et intertitres sont également mobilisés pour
faire avancer l'action. Il suffit de voir les très belles premières
minutes du film et même le premier plan : des mains gantées
ouvre un coffre-fort, comme s'il s'agissait-là d'ouvrir une boîte
de Pandore qui nous entraîne dans un processus inexorable, comme un
top-départ donné à la débauche de violence. Lotte Eisner expliquera
elle-même dans son célèbre livre sur Fritz Lang que les plans de
mains étaient souvent joués par Lang lui-même, nous laissant
imaginer que ce premier plan des </span><span style="font-size: medium;"><i>Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
agit comme le retentissement d'un « Action ! ». <br /><br />La
métaphore peut se filer avec la figure de Haghi, ce super-espion,
nouvel avatar de Mabuse interprété par le même Rudolf
Kleine-Rogge. Haghi exerce son contrôle depuis le cœur d'une banque
tentaculaire qui dissimule des activités paramilitaires. Là encore,
en terme de mise en scène et de montage, on aura rarement vu
introduction d'un « méchant » aussi frontale et
audacieuse. Après une succession de péripéties et de catastrophes
causées par le vol des documents, un homme s'écrit qu'il connaît
celui qui tient l'auteur du vol des documents, mais avant même qu'il
puisse prononcer son nom un coup de feu tiré depuis la fenêtre
l'atteint. Un intertitre apparaît : « Dieu tout puissant,
qui se cache derrière tout cela ? » auquel répond le
visage de Haghi filmé de face, regardant le spectateur. Un deuxième
intertitre suit avec écrit en majuscule sur toute la largeur :
« Moi . » <br /><br /> Cette image provoque le même
effet que les mains gantées s'emparant des documents secrets :
nous sommes à l'intérieur d'une intrigue entièrement menée par le
bon-vouloir d'un super-méchant, alter ego du metteur en scène. Si
celui-ci désire se présenter à nous dès le début de film et
ainsi anéantir les règles du genre, il en a le pouvoir. Nous
sommes, comme souvent chez Lang, dans une organisation pyramidale du
pouvoir où un homme tout-puissant détient les clés de l'action,
évalue et calcule la suite des opérations. Si Haghi simule un
handicap l'obligeant à rester assis en fauteuil roulant, cette
immobilisme sert encore à asseoir sa puissance : entouré de
ses machines et de son personnel, il dirige et commande tout à
distance. Lang lui-même parlera de Haghi comme d'un « ordinateur
humain », d'un super-cerveau qui ne fait rien d'autre que
calculer, séparé des autres par la frontière que dresse devant lui
son bureau. Ce bureau restera d'ailleurs le lieu le plus récurrent
du film, celui vers lequel on revient toujours avant de relancer une
nouvelle série de péripéties. </span>
</div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-right: 1.61cm;">
<span style="font-size: medium;"><br /> Lang affirmait souvent que la forme d'un film
devait ne provenir de rien d'autre que de son sujet.</span><span style="font-size: medium;"><i>
Les Espions </i></span><span style="font-size: medium;">est un exemple parfait d'une
forme qui épouse parfaitement son sujet et ses moyens, comme si fond
et forme étaient tenus par un rapport de mimétisme. Aux
machinations, manipulations et calculs qui caractérisent les héros
des films d'espionnage, répond la mise en scène extrêmement souple
et agile de Lang, qui semble opérer avec la précision d'un
chirurgien sur une table d'opération. Un documentaire qui accompagne
certaines éditions du film donne ainsi à voir les différentes
prises d'une même scène et à quel point, progressivement Lang
réussit à concilier parfaitement mouvement de caméra et mouvement
des acteurs. Les Espions donne le sentiment d'une mise en scène
toujours nécessaire, naturelle, extrêmement travaillée en même
temps qu'intuitive. Aucun gras, aucun surplus, uniquement ce qui est
essentiel à la poursuite de l'action en même temps qu'à la beauté
du plan : le génie de Lang surgit justement là où il lui
suffit d'un même geste pour assurer les deux. Sur l'utilisation du
gros plan, Lotte Eisner dira elle même qu'il n'a jamais été une
nature morte ou un objet de contemplation chez Lang, il a toujours
été au service de l'action.<br /> On trouvera sensiblement ce même
usage du gros plan chez un autre cinéaste : Alfred Hitchcock.
Chez l'un comme chez l'autre l'action y est comme un long souffle qui
emporte les personnages, comme une information qui passe de main à
main sans interruption, une rumeur qui se propage et se répand. On
pourrait voir dans les Espions, une rigoureuse et très consciente
illustration du McGuffin thématisé par Hitchcock, et plus
généralement on ne saurait dénombrer les emprunts que Hitchcock à
pu faire </span><span style="font-size: medium;"><i>aux Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
tant on ne cesse de penser à lui : que cela soit pour
l'atmosphère qui règne dans le film ou des idées et des plans
biens précis. Comme le disait justement Luc Moullet à propos des
Espions : « Nous pensons à Hitchcock, bien qu'en fait ce
soit Hitchcock qui ait pensé à Lang. ». Il a chez ses deux
cinéastes une façon de partir à la recherche de l'action pure, une
volonté de la capturer, de la fragmenter, de l'enserrer au creux
d'un plan de plus en plus étroit. Egalement ce refus de la
sentimentalité (sentimentalité qu'on attribue souvent à la volonté
de Théa Von Harbou) qui aurait tendance à ralentir le cours de
l'action, cette façon de jongler avec les données et d'avancer sans
jamais s'alourdir, jusqu'à atteindre une pure ligne d'action,
expurgée de tout ce qui l'alourdirait.<br />Hitchcock trouvait toujours
très ennuyeux le début des films et pour cette raison même
s'employait à ne jamais donner le sentiment de devoir exposer une
situation, il commençait directement et il est probable qu'il ait
tiré cette leçon de Lang. Loin d'être un « petit film »
comme le concédait Lang, </span><span style="font-size: medium;"><i>Les Espions</i></span><span style="font-size: medium;">
gagnent à être revu : parce qu'il a une réputation de
petite parenthèse divertissante et grand public qui n'a pas
l'ambition édifiante des films de la période allemande. Parce qu'il
est au fond un film isolé, un film appartenant à la période
américaine mais perdu en pleine période allemande. <i>Les Espions</i> est
un fragment d'avenir en quelque sorte : puisqu'il a dicté les
futures lignes de la filmographie langienne et continue de dicter
discrètement celle du film d'action. </span></div>
<br /></div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-56762850374806792052015-02-09T16:47:00.002-08:002015-02-10T20:36:06.193-08:00Bette Davis, rien qu'un coeur solitaire<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-c4XxLLpyNXA/VNlUyz058xI/AAAAAAAACW4/oS_YgdFckXc/s1600/10294282_10152730574272246_2809950092980940360_n.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-c4XxLLpyNXA/VNlUyz058xI/AAAAAAAACW4/oS_YgdFckXc/s1600/10294282_10152730574272246_2809950092980940360_n.jpg" height="640" width="640" /></a></div>
<br />
<br />
Ici, un lien permettant de lire mon article écrit sur Bette Davis dans le Trafic n°88 à l'occasion de la rétrospective à la Cinémathèque en été 2013<br />
<br />
<a href="http://www.fichier-pdf.fr/2015/02/10/joudet-1/" target="_blank">Bette Davis, rien qu'un coeur solitaire</a><br />
<br /></div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-23688698203994498542015-01-20T07:35:00.004-08:002015-01-22T08:04:22.038-08:00Woman's pictures 70's-80's #1 An unmarried woman de Paul Mazursky (Une femme libre, 1978)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-0UL4OcL3EVM/VL5eYkdZxTI/AAAAAAAACUE/PZepuOuHWCU/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h54m53s186.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-0UL4OcL3EVM/VL5eYkdZxTI/AAAAAAAACUE/PZepuOuHWCU/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h54m53s186.png" /></a><b><span style="font-size: large;"></span></b><br />
<br />
<br />
Paul Mazursky occupe une sorte de petite enclave dans le cinéma américain. En dehors de <i>Bob & Carol & Ted & Alice</i>, le cinéma de Mazursky ne s'est jamais vraiment exporté en dehors des Etats-Unis, malgré le fait que Jill Clayburgh (actrice au physique très moderne qui rappelle celui de Diane Keaton et qu'on retrouvera un an après dans la comédie du remariage <i>Starting Over (Merci d'avoir été ma femme, </i>1979) d'Alan Pakula dans un rôle assez similaire) gagnera le prix d'Interprétation féminine à Cannes pour son rôle dans <i>An unmarried woman</i>. Mazursky paye peut-être le prix d'avoir été un cinéaste de transition entre la sortie des années 60 et l'entrée dans le cinéma des années 70. Plus que cela, il reste un cinéaste inclassable, trop romantique et bavard et bien trop américain pour s'exporter aussi bien que Woody Allen. Inactuel également, dans sa façon de vouloir sans cesse réactiver les affects du classicisme hollywoodien, non sans nostalgie.<br />
<br />
<b>Hédonisme et romantisme</b><br />
<br />
<i>Bob & Carol & Ted & Alice </i>(1969), son premier film, narrait ainsi les déboires sexuels et sentimentaux de deux couples d'amis se rendant dans une "clinique du sexe" pour s'adonner à des rites très <i>new age</i> et à l'amour libre. Le film se terminait sur une partouze avortée, renvoyant à la très belle scène introductive de thérapie collective où des corps adultes se cajolent comme des enfants et se vautrent les uns sur les autres, pour le plus grand malaise de nos protagonistes. Ce long couloir hédoniste, les deux couples rêvent finalement de s'en extraire. Cette ultime étape orgiaque, l'étape de trop, leur fera comprendre que leurs problèmes conjugaux ne trouveront aucunement leur issue dans l'air de l'époque.</div>
<div style="text-align: justify;">
L'esprit du temps ne pénétrera pas leurs corps, leurs désirs, leur couple. <i>Bob & Carol & Ted & Alice </i>fait figure de film théorique, d'acte de résistance à l'hédonisme, il en va de la sauvegarde du romantisme. Tout le film n'aura été qu'un dispositif permettant ce refus final. Un geste de recul et de dégoût qui caractérise bien le cinéma de Mazursky : et si on pouvait revenir en arrière, à l'âge du classicisme, à l'âge où le couple pouvait se défendre tout seul et n'était pas aussi perméable à l'esprit du temps ? Comme Woody Allen, Mazursky semble regretter un certain état de cohésion et d'autonomie (voire d'autisme) des rapports amoureux qui caractérisait le couple classique. Dans leurs films, le couple implose, poreux a tout ce qui l'entoure, pris d'assaut par une peuplade d'étrangers. Tout le monde peut le commenter, le jauger, le gérer : thérapeutes en tout genre, amis, médecins, familles, manuels de <i>self-improvment</i>. Le couple attaqué de l'intérieur par une forme de biopouvoir<i> </i>aux milles visages. Ce biopouvoir est d'autant plus intrusif lorsque le couple divorce, là encore le divorce traité comme long trauma diffus et qui nécessite une rééducation à la vie sera un thème proprement post-classique. Dans <i>An unmarried woman</i>, Erica Benton (Jill Clayburgh) devra ainsi apprendre à vivre toute seule après 16 ans de mariage. </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<a href="http://3.bp.blogspot.com/-H4ZvF_RPUPA/VL5RmANQKqI/AAAAAAAACSo/ERMI4Ymplf0/s1600/july2012bobandcarolandtedandalice16.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-H4ZvF_RPUPA/VL5RmANQKqI/AAAAAAAACSo/ERMI4Ymplf0/s1600/july2012bobandcarolandtedandalice16.png" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
Comme cinéaste romantique, la subversion de Mazursky va à contre-courant des années 70 : il s'agit d'une impudeur sentimentale, d'une volonté de faire couler les sentiments, les états d'âmes, les humeurs conjugales. Est passé par là, dans les années 60, tout un narcissisme de couple qui irrigue le coeur même de la filmographie de Mazursky : le couple n'est plus innocent, il est auto-réflexif, il passe son temps à se commenter lui-même. Les scènes de thérapie transforment le film en long souffle analytique. Tombé d'un certain état d'innocence, la conscience romantique devient alors une conscience malheureuse.<i><br /></i></div>
<div style="text-align: justify;">
<b>L'analyse infinie</b></div>
<div style="text-align: justify;">
<b><br /> </b>Les lignes de dialogue ne sont plus affutées comme de petites lames incisives, mais gonflées de grosses boules moelleuses qui se dilatent à l'infini, nous sommes dans l'analyse sans fin : il ne s'agit plus de ramener des états à une phrase bien ciselée, mais de ramener un état, une émotion, à une sorte de long monologue élastique qui finit par perdre de vue ce qu'il cherchait à restituer. Comme chez Woody Allen, les héros de Mazursky font moins se répondre que parler tout seul. Ses dialogues donnent cette étrange sensation d'avoir tous été écrits et pensés par la même personne : comme si l'idée de personnage était complètement arbitraire et que seul comptait cette longue loghorrée psycho-sentimentale qui passe à travers les corps.<br />
A qui appartient-elle en définitive ? A Mazursky lui-même, qui, en faisant parler le même langage à tous ses personnages, construit une sorte de petit îlot douillet d'entente et de compréhension; et en même temps, paradoxe, à trop s'expliquer on finit par atteindre un flou langagier, une confusion générale - Erica seule et perdue dans la ville comme au milieu de son propre langage.<br />
<br />
Cette "compréhension" (chacun demande à son partenaire de le comprendre, de l'écouter) est appelée par l'ère de l'incommunicabilité et une acception thérapeutique du couple qui devient comme un corps qui a ses maladies et ses remèdes. Tout droit sorti du jargon psychologique, la compréhension est un mot tardif qui complique et infantilise plus qu'il ne clarifie les rapports entre hommes et femmes. Elle est censée agir comme un liant entre les hommes et les femmes. Comprendre les hommes ou les femmes, cela présuppose que les hommes et les femmes vivent primitivement dans un état de rupture, que leurs desseins ne sont pas les mêmes et qu'ils doivent établir ensemble un point d'intersection, un lieu commun. Sur cette compréhension qui innerve les films de Mazursky, il suffit de se rapporter à la scène où le mari d'Erica annonce qu'il a rencontré une autre femme : avant de pouvoir s'exprimer il fond en larmes, on devine dans l'écriture de Mazursky, une empathie profonde qu'il distribue également à tous ses personnages - comble de l'empathie, Mazursky réalise plus tôt, en 1973, <i>Blume in love,</i> le pendant masculin à <i>An unmarried woman.</i><br />
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<a href="http://3.bp.blogspot.com/-xOCDeqM6_ig/VL7zgfxKQfI/AAAAAAAACUs/p6BZTEqL40o/s1600/vlcsnap-2015-01-20-18h31m07s147.png" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-xOCDeqM6_ig/VL7zgfxKQfI/AAAAAAAACUs/p6BZTEqL40o/s1600/vlcsnap-2015-01-20-18h31m07s147.png" /></a></div>
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<br /></div>
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<b>Woman's picture et comédie romantique </b></div>
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<i>An unmarried woman</i> est beau dans son aridité paradoxalement ouatée, dans cette façon qu'il a de jouir de son malheur, de se plaindre d'être en vie - caractéristique importante du célibataire. Il y a là le trauma, typique du <i>woman's picture</i>, qui arrive vite et abandonne Erica dans une zone floue : en perdant son mari elle perd son propre reflet et comme tout grand <i>woman's picture</i> c'est à ce moment-là, dans ce moment sans amour qui précède une trahison qu'une définition du féminin peut nous intéresser : isoler le féminin loin du masculin et regarder à quoi il peut bien ressembler. <br />
On notera au passage le titre tout en négativité : <i>An unmarried woman</i>, rappelant la <i>Unknown woman</i> d'Ophuls, il y a dans ce titre une part de fierté et de revendication, et puis, quelque chose propre aux titres des <i>woman's pictures</i> : l'acte de désigner une femme, d'isoler une trajectoire <i>(Norma Rae, Annie Hall, Wanda, Trois femmes, Another woman</i>). Toutefois, l'intransigeance du classicisme (isoler le féminin à tout prix) se perd là au profit des conclusions de la comédie romantique et d'une forme de compromission accordée au réalisme psychologique : l'héroïne a besoin d'être aimée, après un long passage à vide elle retrouve l'amour.</div>
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<a href="http://4.bp.blogspot.com/-mnigoEedAa8/VL5eW4LDl9I/AAAAAAAACTc/B_KdriR_0CA/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h51m12s44.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-mnigoEedAa8/VL5eW4LDl9I/AAAAAAAACTc/B_KdriR_0CA/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h51m12s44.png" height="210" width="400" /></a></div>
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<a href="http://4.bp.blogspot.com/-OLMhp7TZH0c/VL5eXAxMFgI/AAAAAAAACTg/QTiEDziiLeQ/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h51m22s146.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-OLMhp7TZH0c/VL5eXAxMFgI/AAAAAAAACTg/QTiEDziiLeQ/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h51m22s146.png" height="210" width="400" /></a></div>
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<a href="http://3.bp.blogspot.com/-M31_SVlsvK4/VL5eWw47RdI/AAAAAAAACTk/ePgJWIxrCSk/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h51m32s240.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-M31_SVlsvK4/VL5eWw47RdI/AAAAAAAACTk/ePgJWIxrCSk/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h51m32s240.png" height="210" width="400" /></a></div>
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<a href="http://3.bp.blogspot.com/-EgnYI7VprVY/VL5eXw2WvKI/AAAAAAAACTs/Ib-kp9EqNRw/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h51m42s70.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-EgnYI7VprVY/VL5eXw2WvKI/AAAAAAAACTs/Ib-kp9EqNRw/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h51m42s70.png" height="210" width="400" /></a></div>
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<a href="http://3.bp.blogspot.com/-k2iUVZ4M-aM/VL5eYd598mI/AAAAAAAACTw/3D1rkBNUCFI/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h54m25s171.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-k2iUVZ4M-aM/VL5eYd598mI/AAAAAAAACTw/3D1rkBNUCFI/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h54m25s171.png" height="210" width="400" /></a></div>
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<br /></div>
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<br /></div>
<b>Mazursky, biocinéaste</b><br />
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<br /></div>
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Ce savant mélange de problématiques indissociablement sociales et amoureuses finit d'arracher le <i>woman's picture</i> à son essence intimement mélodramatique pour le ramener à une forme de prosaïsme, nous sommes là dans un traitement qui se rapprocherait plus d'une forme de cinéma thérapeutique qui côtoie la rhétorique optimiste du <i>self-improvment</i>. On pourrait forger le terme de <i>biocinéma</i> et qualifier Mazursky de <i>biocinéaste</i> dans la mesure où la fresque romanesque parfois étalée sur des décennies du <i>woman's picture</i> concerne désormais un moment très court de la vie d'une femme et se focalise sur la gestion de sa vie privée - l'amour étant une des catégories de cette gestion.<br />
<br />
Les mélodrames hollywoodiens se passaient dans un climat éthéré, à la limite de l'abstrait, la pauvreté et la richesse y sont traités abstraitement, comme des décors. <i>An unmarried woman</i> est un <i>"</i>zeitgeist movie" dans la mesure où le portrait de femmes dresse en creux celui de la société. On se rend compte à quel point une série comme<i> Sex & the City </i>doit énormément au film de Mazursky : le groupe d'amies qui entoure Erica aura évidemment inspiré la bande de copines de Carrie Bradshaw. C'est le même désenchantement féminin qui se lit sur les visages : les femmes, meurtries mais fortes de toute leur expérience auprès des hommes et de décennies de cinéma américain, se méfient d'eux tout en constatant péniblement qu'elles ont besoin des hommes, qu'elles ne parlent que d'eux. Toutes les discussions se font dans ce va-et-vient entre attirance et répulsion (on est dans un rapport d'addiction), et là encore Mazursky a ceci de visionnaire qu'il donne plus qu'aucun autre à expérimenter une situation de célibat moderne. <br />
<br />
<a href="http://3.bp.blogspot.com/-cSn7hKCjFaQ/VL5cuoloMNI/AAAAAAAACTI/bWblsGnfq-4/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h48m24s130.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-cSn7hKCjFaQ/VL5cuoloMNI/AAAAAAAACTI/bWblsGnfq-4/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h48m24s130.png" /></a><a href="http://1.bp.blogspot.com/-s1O19aDv5fc/VL5cu4fXRvI/AAAAAAAACTM/N_QaQ_AYk6A/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h48m10s21.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-s1O19aDv5fc/VL5cu4fXRvI/AAAAAAAACTM/N_QaQ_AYk6A/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h48m10s21.png" /></a></div>
<br />
<br />
<br />
<b>La célibataire et la vieille fille</b><br />
<br />
A l'exception près que la célibataire a remplacé la vieille fille. La vieille fille du classicisme hollywoodien avait ceci pour elle qu'elle revendiquait héroïquement un état considéré comme marginal. En visionnant les <i>woman's pictures</i> de l'époque on est frappé de constater la fadeur des personnages masculins. Il faut comprendre par là une autre acception du woman's picture comme film réservé aux femmes, où les hommes ne sont là que comme de pâles figures qui traversent le film temporairement. La non-conjugalité pouvait alors se comprendre positivement, on pouvait choisir la solitude d'un geste victorieux. Avec Mazursky apparaît l'idée du célibat comme état de marginalité temporaire mais vertigineux (parce que riche de possibilités et tout de même inquiétant) qui fera tout le miel idéologique de <i>Sex and the City</i>.<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://4.bp.blogspot.com/-J7fGpBiDISg/VL725f3_eyI/AAAAAAAACVI/IzsG9pHKyCE/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h43m06s48.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-J7fGpBiDISg/VL725f3_eyI/AAAAAAAACVI/IzsG9pHKyCE/s1600/vlcsnap-2015-01-20-14h43m06s48.png" height="210" width="400" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-xgzN2OP_i9A/VL725WUqXwI/AAAAAAAACVM/FInII3Tr19A/s1600/SATC_Title.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-xgzN2OP_i9A/VL725WUqXwI/AAAAAAAACVM/FInII3Tr19A/s1600/SATC_Title.jpg" height="297" width="400" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-VEDmIkIq0RY/VL7zjENfkvI/AAAAAAAACU4/GoxgysYV23M/s1600/vlcsnap-2015-01-21-01h26m33s66.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><br /></a></div>
La célibataire, contrairement à la vieille fille, se trouve être dans un rapport de flirt permanent avec la gente masculine : dès lors qu'Erica est quittée par son mari, New-York redevient un terrain de chasse. Plus tard c'est Carrie Bradshaw qui envisagera New-York comme "la ville aux dix millions de célibataires." C'est peut-être toute la différence entre la vieille fille et la célibataire : la première exprime son refus d'être sur le marché de l'amour et du sexe, elle prône une définition du féminin qui se définirait loin des hommes, sa vie se passera en dehors de l'amour conjugal, tandis que la célibataire est peut-être la figure paradigmatique de l'amour comme addiction, tout à la fois voluptueux et aliénant. <br />
<br />
Si <i>Sex & the City</i> est une série qui oscille entre cynisme et romantisme, Mazursky reste fondamentalement agrippé à l'idée de romance, d'amour comme substance en excès, là où il est vécu comme un partage d'intérêts communs dans Sex & the City. C'est la très belle scène finale de <i>An unmarried woman</i> où le nouveau petit ami peintre de Erica l'abandonne au beau milieu de la rue avec la toile géante qu'il vient de lui offrir. La toile, intransportable, matérialise le don d'amour, dans son outrance et son excès, qui embarrasse littéralement Erica. De quelle manière la comédie romantique future prendra ses distances d'avec le woman's pictures ? Par une façon qu'ont les héroïnes féminines d'abandonner toute idée de sacrifice (d'un homme, d'un enfant, d'une carrière) au profit d'une conception bien raisonnée du bien-être. Le woman's picture post-classique et la comédie romantique, dans leur volonté de restaurer le moi, de filmer des héroïnes qui estiment qu'elles méritent d'être heureuses, perdront quelque chose du feu sacré et morbide des <i>woman's pictures </i>classiques, une forme d'embrasement et d'assouvissement d'un instinct de mort typiquement féminin que n'autorise aucunement un amour visant à restaurer le moi. <br />
<br />
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-VEDmIkIq0RY/VL7zjENfkvI/AAAAAAAACU4/GoxgysYV23M/s1600/vlcsnap-2015-01-21-01h26m33s66.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-VEDmIkIq0RY/VL7zjENfkvI/AAAAAAAACU4/GoxgysYV23M/s1600/vlcsnap-2015-01-21-01h26m33s66.png" /></a><a href="http://1.bp.blogspot.com/-mXEcUE1wVlE/VL7zjHLW0PI/AAAAAAAACU0/e2Pw-ARS4kQ/s1600/vlcsnap-2015-01-21-01h26m24s217.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-mXEcUE1wVlE/VL7zjHLW0PI/AAAAAAAACU0/e2Pw-ARS4kQ/s1600/vlcsnap-2015-01-21-01h26m24s217.png" /></a></div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-31050910350999353362014-10-30T18:59:00.002-07:002015-01-22T17:01:28.531-08:00Spiders from Walsh / sur The Man i Love de Raoul Walsh (1947)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;">Texte initialement publié ici : http://pierrecormary.hautetfort.com/archive/2014/04/04/the-man-i-love-par-murielle-joudet-5339954.html</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><span style="background-color: white; color: #999999;"><img alt="the man i love,raoul walsh,ida lupino,murielle joudet,critique" src="http://pierrecormary.hautetfort.com/media/01/00/750790756.jpg" id="media-4510687" style="margin: 0.7em 0px;" title="" /> </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><span style="background-color: white; color: #999999;"><span style="color: black; font-family: 'Verdana','sans-serif'; font-size: 8.5pt; mso-ansi-language: FR; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'; mso-bidi-language: HI; mso-fareast-font-family: SimSun; mso-fareast-language: HI; mso-font-kerning: .5pt;">Après<i> High Sierra</i> et <i>They drive by night</i>, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">The Man I Love</i> est la troisième et dernière collaboration d'Ida Lupino avec Raoul Walsh. Elle y joue une chanteuse de <i>nightclub</i>
qui, ayant le mal du pays (« homesickness »), décide de partir le jour
de Noël rendre visite à son frère et ses sœurs à Los Angeles. Elle finit
par s'y établir, trouve un travail dans le <i>nightclub </i>d'un propriétaire qui la drague, s'occupe des siens et tombe amoureuse d'un ancien pianiste, San Thomas.</span></span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><span style="background-color: white; color: #999999;"><span style="color: black; font-family: 'Verdana','sans-serif'; font-size: 8.5pt; mso-ansi-language: FR; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'; mso-bidi-language: HI; mso-fareast-font-family: SimSun; mso-fareast-language: HI; mso-font-kerning: .5pt;"><i>The Man I Love</i>
est un mélodrame urbain et pauvre, enveloppé dans la forme vigoureuse,
fougueuse du réalisme Warner. La Warner était spécialisée dans la
production de films vite tournés, au style journalistique, documentaire,
privilégiant les plans en extérieur - on pense aux films noirs avec
James Cagney, Edward G. Robinson et les films pré-codes Hays. De fait, <i>The Man I Love</i> se cale sur ce rythme urbain, donne à entendre le pouls d'une ville pendant la période des fêtes. <br /> <br /> Le film s'ouvre sur de larges plans de New-York qui peu à peu se resserrent sur la façade d'un nightclub. Deux hommes<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>pensant le club ouvert tentent d'y entrer mais un autre leur signale qu'il s'agit d'un bœuf privé, <i>« a private party for crazy people »</i>
- ce sera le programme du film. Et lorsque nous sommes autorisés à y
entrer, nous découvrons Lupino noyée autour de ses musiciens chantant<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>« The Man I Love » avec cette langueur mélancolique propre aux chanteuses de <i>nightclub</i>.
On comprendra plus tard que ce qui lui donne cet air si douloureux ce
n'est pas tant la chanson que le fait qu'elle n'ait pas vu depuis
longtemps les siens, « I'm homesick » dit-elle – un même regard exprime à
la fois le mal du pays et la langueur d'amour. On remarquera que le
film est baigné par un épais brouillard, brouillard de la ville et de la
fumée de cigarette, brouillard de l'<i>homesickness</i> qui travaille
au corps tous les personnages, chacun ayant le mal de son pays à lui,
qu'il soit une femme ou un mari perdus, une famille éloignée, un amour
qu'on attend. Le film semble ainsi répondre à une question : où se loge
l'amour dans les grandes villes où, à première vue il semble être
refoulé, absent ? Il se trouve dans les foyers, les <i>nightclubs</i>,
les chambres d'hôtel, dans ces lieux protégés que sont les chansons,
tous ces endroits secrets, scellés, dans lesquels le film nous invite à
pénétrer. <br /> </span></span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><img alt="the man i love,raoul walsh,ida lupino,murielle joudet,critique" src="http://pierrecormary.hautetfort.com/media/01/02/295698900.jpg" id="media-4510688" style="margin: 0.7em 0px;" title="" /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><span style="background-color: white; color: #999999;"><span style="color: black; font-family: 'Verdana','sans-serif'; font-size: 8.5pt; mso-ansi-language: FR; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'; mso-bidi-language: HI; mso-fareast-font-family: SimSun; mso-fareast-language: HI; mso-font-kerning: .5pt;"><i>The Man I love</i>
donne le sentiment d'être une esquisse achevée dont toute la beauté se
logerait dans la rapidité de son trait, dans cette légèreté dérisoire de
papier journal dont les lignes imprimées nous délivreraient le grave
secret des cœurs d'une poignée de personnages, d'une ville entière.
C'est l'efficacité démocratique d'une chanson portée par une chanteuse
qui offre sa voix au chagrin des autres, sa langueur de surface à ceux
qui ont envie d'être langoureux. C’est cette même efficacité
démocratique qui permet à Walsh cette extrême circulation entre les
personnages. Chez lui, ce n'est pas une astuce de scénario qui daigne
octroyer <i>sa</i> scène à chaque personne, c'est davantage un
mouvement immanent au film, motivé par l'héroïne qui s'occupe des autres
avant de revenir à ses occupations – déjà Lupino est metteuse en scène à
l’intérieur du film. Ce qui confère au film cet aspect organique,
naturel, loin du film choral découpé en tranches égales artificiellement
liées entre elles par une petite soudure scénaristique, ce souci trop
souvent lourd et volontariste du second rôle, cette épaisseur de surface
qui est l'intérêt qu'on octroie à un rouage. Ici ces allers et venues
ont le naturel de la vie, où l'intérêt que l'on se porte à soi influe et
reflue à la surface, où l'on s'éclipse du premier plan pour jouer son
rôle de sœur, d'employée, d'amie – le centre du film se déplaçant en
fonction de qui on aime et de qui on soigne, créant au final une sorte
de réseau d'amour. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">The Man I Love</i>
se calque sur l'anonymat des métropoles urbaines, ces métropoles dont
nous sommes les éternels personnages anonymes et intermittents, comme
Lupino l'est ici.</span></span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><span style="background-color: white; color: #999999;"><span style="color: black; font-family: 'Verdana','sans-serif'; font-size: 8.5pt; mso-ansi-language: FR; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'; mso-bidi-language: HI; mso-fareast-font-family: SimSun; mso-fareast-language: HI; mso-font-kerning: .5pt;">C'est cette douce modestie affairée de <i>city girl </i>que
Lupino charrie dans son jeu, trop occupée pour avoir le temps de tenir
son premier rôle, permettant au centre de se redistribuer sans cesse
jusqu'à se dissoudre pour lui préférer l'aspect d'une toile d'araignée –
on pense à la façon dont Minnelli arrive à faire <i>rapidement </i>exister
des groupes de personnages en déduisant un portrait d'une série de
relations, comme on recoupe des témoignages pour se faire une idée sur
une personne. <br /> <br /> L'indépendance de Lupino a quelque chose de très
réaliste : elle n'a rien d'une vamp, le film étant trop pragmatique
pour lui laisser le temps de l'être. L'amour de cinéma est
habituellement le fait d'une élite amoureuse où les questions
pragmatiques, si elles étaient traitées, risqueraient de parasiter
l'avancée de l'histoire. Au contraire ici, c'est la nécessité qui fait
avancer l'histoire, la nécessité de gagner sa vie ou de s'occuper de ses
enfants - comme c'était déjà le cas du magnifique « Une femme
dangereuse » <i style="mso-bidi-font-style: normal;">(They drive by night</i>)
qui filmait le monde des routiers. De fait, dans la série B non
cantonnée à un genre (on peut penser aux comédies et drames sociaux de
Gregory la Cava), le réalisme est de mise et il devient naturel que le
film, dans son mouvement, emporte avec lui une image du monde. Lupino
est une femme qui s'en sort, qu'on voit au travail, qui s'achète
d'extravagantes robes du soir (touchantes sur le corps si gracile de
l’actrice), et des chapeaux qu'elle n'arrête pas de trouver finalement
ridicules<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>– comme une femme qui
persiste à porter des tenues qui ne lui vont pas, et qui sont
d'ailleurs davantage des tenues de travail que de soirées.<br /> <br />
Autre question que pose le film : quand trouve-t-on le temps d'aimer ?
Là encore, on fait l'amour quand l'agenda le permet. Urbanité oblige, le
couple s'aime dans les marges, bousculé par les autres intrigues. C'est
que la vitesse est le mot d'ordre, l'idée de Walsh est de filmer un
amour interstitielle, qui se cherche une place au lieu de prendre toute
la place. Ici le trait vite esquissé prévaut sur le développement : tout
le monde sait qu'on trace plus facilement une ligne droite d'un seul
coup que par petites touches successives. « The Man I Love » fonctionne
sur cette économie du geste : on fait le tour d'une question au détour
d'un regard, d'une réplique, d'une cigarette allumée – innombrables
petites entailles hollywoodiennes.</span></span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><span style="background-color: white; color: #999999;"><span style="color: black; font-family: 'Verdana','sans-serif'; font-size: 8.5pt; mso-ansi-language: FR; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'; mso-bidi-language: HI; mso-fareast-font-family: SimSun; mso-fareast-language: HI; mso-font-kerning: .5pt;">Lupino
apprend alors que l'homme qui lui plaît est San Thomas, le compositeur
de « The Man I Love », cette chanson qu'elle chantait en ouverture. La
très belle idée est de faire de cette chanson le motif d'une
contamination (contamination qui est, on l'a bien vu, le grand motif du
film : on contamine par l'atmosphère, par le brouillard ici omniprésent,
par la langueur chantée ou sentie du <i>homesickness</i>). C'est par et à travers elle que <span style="mso-bidi-font-weight: bold;">Lupino</span>
aime San, comme si, bien avant de se connaître, il lui avait transmis
les termes de leur relation, les mots à travers lesquels elle allait
l'aimer ; comme si leur complicité avait été scellée bien avant qu'ils
ne se rencontrent.<br /> </span></span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><img alt="the man i love,raoul walsh,ida lupino,murielle joudet,critique" src="http://pierrecormary.hautetfort.com/media/01/02/2750528923.png" id="media-4510689" style="margin: 0.7em 0px;" title="" /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><span style="background-color: white; color: #999999;"><span style="color: black; font-family: 'Verdana','sans-serif'; font-size: 8.5pt; mso-ansi-language: FR; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'; mso-bidi-language: HI; mso-fareast-font-family: SimSun; mso-fareast-language: HI; mso-font-kerning: .5pt;">Les
films de Walsh ont cette inexorabilité où tout se tient et se boucle au
bout d'une heure et demi alors que tout ne cessait de se ramifier
jusqu'au dernier moment. On ne compte pas les micro-scènes qui posent en
passant la vie d'un personnage, d'un second, d'un troisième ou d’un
quatrième rôle. C'est que par-dessus les personnages centraux la rumeur
urbaine insiste toujours, reflue sans cesse à la surface comme si on ne
voulait jamais laisser reposer une pâte mais qu'on la remuait sans
cesse, faisant du fond une potentielle surface, et inversement. Qui peut
prétendre à être le héros d'une ville, d'un film-ville ?<br /> <br /> Walsh tient ici à cette égalité narrative (« tous les personnages naissent et demeurent<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>libres et égaux en droits »). On chercherait en vain le crime qui ferait de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">The Man I Love</i>
un film noir, un dénouement qui justifierait tout ce qui précède, ou un
personnage qui se révélerait être clé. C'est très rare d'arriver à
faire sentir que ce sont les personnages qui sont libres et non pas le
scénario – là encore on pourra détourner la formule kantienne : « Traite
toujours ton personnage <i>comme une fin</i> et jamais seulement <i>comme</i> un moyen ». Par sa façon de ne pas jouer une histoire contre une autre ou au-dessus d'une autre, <i>The Man I Love, </i>film-chanson, nous
montre que l'amour suppose non pas l'élévation hors-monde de quelques
amoureux privilégiés mais la démocratie des cœurs. Il y a de la place
pour une femme qui aime et attend un homme qui ne l'aime pas – ceux
qui sont aimés n'ont pas pris l'habitude de chanter.</span></span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit; font-size: large;"><span style="background-color: white; color: #999999;"><span style="color: black; font-family: 'Verdana','sans-serif'; font-size: 8.5pt; mso-ansi-language: FR; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'; mso-bidi-language: HI; mso-fareast-font-family: SimSun; mso-fareast-language: HI; mso-font-kerning: .5pt;"><b><br />Murielle Joudet</b></span></span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-31940115424133276722014-06-09T20:55:00.001-07:002015-01-22T17:01:44.456-08:00Sur le naturalisme<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div dir="ltr" style="text-align: justify;" trbidi="on">
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://3.bp.blogspot.com/-Q9XcjeJZEfQ/U5ZdaTgNRUI/AAAAAAAACLk/h2HDGZrAQSc/s1600/vlcsnap-2014-06-10-02h31m03s205.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-Q9XcjeJZEfQ/U5ZdaTgNRUI/AAAAAAAACLk/h2HDGZrAQSc/s1600/vlcsnap-2014-06-10-02h31m03s205.png" height="136" width="320" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://4.bp.blogspot.com/-G_HFK1yTUE4/U5ZdbMHhJ-I/AAAAAAAACLw/HTqOtKuN7RE/s1600/vlcsnap-2014-06-10-02h31m29s215.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-G_HFK1yTUE4/U5ZdbMHhJ-I/AAAAAAAACLw/HTqOtKuN7RE/s1600/vlcsnap-2014-06-10-02h31m29s215.png" height="136" width="320" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-vGWnk_yo4Zo/U5ZdcNqn2lI/AAAAAAAACL4/_LQDq_a_QLg/s1600/vlcsnap-2014-06-10-02h33m58s173.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-vGWnk_yo4Zo/U5ZdcNqn2lI/AAAAAAAACL4/_LQDq_a_QLg/s1600/vlcsnap-2014-06-10-02h33m58s173.png" height="136" width="320" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-sZ2rZF4mWhM/U5ZdcQ0MMsI/AAAAAAAACMA/wGW-R99A7Ag/s1600/vlcsnap-2014-06-10-02h35m14s163.png" height="136" width="320" /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
- Dans <b><i>De Rouille et d'os,</i> Audiard </b>atteint à la vérité de<b> Marion Cotillard</b> et de son personnage en farfouillant dans sa nuque. Elle y détient des scènes entières, notamment lors de ce grand passage obligé des films naturalistes qu'est la scène de boîte de nuit. Celle-ci est toujours filmée
derrière le dos du personnage pénétrant la boîte, d'abord étranger à la population fêtarde, il finira, en dansant, par s'intégrer à ce milieu mi-répulsif mi-excitant.</div>
<div style="text-align: justify;">
Pourquoi la nuque ? Parce qu'elle est un peu visage, un peu corps, un
peu animale et un peu esprit. Levinas disait de la nuque qu'elle était un visage, il dit ailleurs que toutes les parties du corps le sont. Si Audiard filme autant la nuque de
Cotillard dans <i>De rouille et d'os</i><b> </b>c'est qu'il y trouve ce qu'il y
cherche : un lieu spirituel à la lisière du passif et de l'actif, un lieu saint : conquérant et sacrificiel. Puisque le cinéma naturaliste aime à faire comme si la caméra n'était
pas là, il devient presque naturel de filmer les personnages de dos ou
de 3/4 (la limite étant le coin extérieur de l'oeil, les cils, la pointe extérieure du sourcil, la pommette), bref, comme si la caméra se cachait effectivement. Filmer tout en ayant toujours devant soi la
nuque et le pourtour de l'oreille c'est, dans le cinéma naturaliste, l'idéale
position mi-documentaire mi-fictionnelle où le metteur en scène suit et
supporte à la fois son personnage. Dans la caméra-épaule et le plan-nuque il y a l'idée que les
trajectoires des héros sont imprévisibles et qu'il faut être soi-même
mobile, derrière eux, prêt à les suivre puisque ce n'est pas nous qui leur indiquons
leur déplacement, mais aussi l'idée que c'est la caméra qui pousse, qui
"aide à aller de l'avant" les héros. En résumé, la nuque devient le
lieu chouchou du naturalisme parce qu'elle est à l'image de l'idée de
l'homme qu'il véhicule : mi-saint, mi-bête. Comme ses héros, la nuque avance à tâtons, elle est aveugle mais elle avance, elle est nue et vulnérable mais dans l'ignorance de cette vulnérabilité; et par là même forte.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
2 - Vu récemment au Forum des images, <b>Bande de filles de Céline Sciamma</b>. Avant même d'avoir vu le film tout le monde parlait de la séquence où les filles dansent pour elles-mêmes (détail important) sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lWA2pjMjpBs" target="_blank">"Diamonds"</a> de <b>Rihanna</b>. J'ai même appris au détour d'un blog que la chanson avait coûté 1/4 du budget du film. Tout le monde ne parlait que de cette séquence et sur les blogs cannois on s'extasiait qu'elle ait pu se répéter sur le dancefloor de la soirée du film lorsque les actrices se sont mises à danser alors que retentissait le tube de Rihanna.</div>
<div style="text-align: justify;">
Avant même d'avoir vu le film je me demandais, tout en ayant ma réponse, pourquoi Sciamma tenait tant à mettre cette chanson dans son film. Après l'avoir vu c'est une autre question qui me venait : pourquoi cette scène n'aurait pas pu exister sans cette chanson ? D'autres belles chansons moins coûteuses existent, mais il s'agit d'acheter autre chose qu'une simple chanson, c'est presque le tribut que doit payer<b> Sciamma</b> pour que l'ethnographie fictionnelle puisse prendre à 100%. Avec ce tube qui retentit, Sciamma leur indique que son film parle leur langue et que leur langue nous la parlons aussi, que nous parlons tous le Rihanna et que nous nous retrouvons tous fédérés par la langue de la pop musique. J'ai d'ailleurs le souvenir d'avoir lu que lors de la présentation de son film Sciamma enjoignait le public à devenir cette bande de filles.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il y a aussi qu'une séquence toute entière imbibée de musique donne l'impression qu'enfin, le discours s'efface et que toute la place est faite aux héroïnes. La scène, si elle peut impressionner en ses premières secondes, est finalement assez ratée, précisément parce que Sciamma fait trop confiance aux pouvoirs de sa chanson et se distrait de son boulot de metteuse en scène. Il y a parfois dans les films, une sorte de magie vaporeuse émanant des chansons et qui peut donner l'impression que d'un seul coup la grâce et la facilité sont atteintes, que le plan se fluidifie de lui-même, que ce pour quoi nous sommes émus appartient moins à la musique qu'à la mise en scène, mais ce n'est qu'une impression. Il n'y a qu'à voir les films de <b>Xavier Dolan </b>pour s'en assurer. Le cinéaste est à son tour dupe de l'efficacité de la musique utilisée. </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
C'est comme si tous les gros derniers films naturalistes avançaient en brandissant un étendard-chanson. <b><i>La vie d'Adèle</i> avec "I follow rivers" de Lykke Li</b>, <b><i>De Rouille et d'os</i> avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QGJuMBdaqIw" target="_blank">"Firework" de Katy Perry</a></b> et <b><i>Bande de filles</i> avec Rihanna</b>. Je cite ces trois exemples mais il en existe des centaines d'autres. Un grand film populaire est souvent accompagné de sa chanson entêtante et parfois cette chanson le précède, comme un hymne annonçant son sportif. C'est comme si le cinéma voulait se faire aussi fédérateur que la pop musique, transportable dans les coeurs et dans la tête comme le sont les chansons de Rihanna : on en fredonnerait le refrain, on les aurait dans la tête sans pouvoir les oublier. Ces films français recueillent ces chansons pop en leur sein comme ils brandiraient des talismans, des boucliers, des prières, comme ils se persuaderaient qu'ils sont tout aussi sirupeux et émouvants que la voix de leurs chanteuses.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<b>Kechiche</b>, en grand vampire, semble demander à Lykke Li de lui donner un peu de sa force, comme il le demande déjà une première fois à Adèle. Il aimerait que son film soit aussi innocent que cette chanson très émouvante qu'est "I follow rivers" - et qui déjà retentit longuement dans <i>De Rouille et d'os</i>. La faire retentir c'est une façon de dire que son film se résume à cette évidence-là : Adèle qui danse sur Lykke Li, la vie d'Adèle. Le reste importe peu, Lykke Li pourrait presque réussir à nous distraire de l'arrière-fond idéologique qui imprègne tout le film. Kechiche nous enjoint à regarder du côté d'Adèle, à ne regarder qu'elle. Lui, sa mise en scène, son discours devraient se dissoudre devant la fulgurance de sa spontanéité, de son naturel désarmant. Exactement comme, d'une façon plus doucereuse et niaise, Sciamma voudrait disparaître devant sa bande de filles. Faire retentir Rihanna lors d'une séquence clipesque est une façon pour elle de dire qu'à ce moment là il n'y a que cette bande, que c'est leur moment à elles et que elle, Sciamma, abdique, fait tomber son stylo de scénariste et son regard bienveillant et ethnographique, son film est pris en otage par la spontanéité, par un <i>happening</i>. </div>
<div style="text-align: justify;">
Comme chez Kechiche, la musique devient alors le point culminant de la fantasmagorie d'un cinéaste qui filme la jeunesse. Mais Sciamma est moins forte que Kechiche, parce qu'elle n'arrive pas à fusionner fantasme et discours : elle filme un clip, puis enchaîne avec une scène sur-signifiante. Kechiche, lui, emboite tout : récit, discours, fantasme. Il arriverait presque à nous faire croire qu'Adèle le laisse sidéré, impuissant, alors qu'elle est une pure machine à discours. La musique pop devient alors le moyen de cette pseudo-victoire du personnage sur le metteur en scène, le moyen par lequel le cinéma essaye de nous faire oublier sa lourdeur, son obligation à discourir, en nous faisant croire qu'il peut être aussi aérien et sans opinion que quatre minutes de musique pop.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le film de Sciamma, qui sort en octobre, dans la mesure où il est encore plus résumable à son hymne que le film de Kechiche, donne le sentiment qu'une étape est encore franchie dans le devenir-pop et faussement innocent du cinéma naturaliste français. Dans sa définition minimale, un film populaire ce serait simplement un film aussi viral qu'une chanson de Rihanna, un objet gentil au parfum légèrement sucré. Il y a quelque chose d'un peu mélancolique à ce qu'il essaye de l'être.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
</div>
<div style="text-align: justify;">
<iframe allowfullscreen="" frameborder="0" height="315" src="//www.youtube.com/embed/K3JGxj2rvAs?rel=0" width="560"></iframe>
<iframe allowfullscreen="" frameborder="0" height="315" src="//www.youtube.com/embed/kD8hbg67u5c?rel=0" width="560"></iframe>
</div>
<div style="text-align: justify;">
Reste l'énigme d'un détail : pourquoi <i>De Rouille et d'os</i>,<i> La vie d'Adèle</i> et <i>Bande de Filles</i> sont trois films qui ont pour couleur dominante le bleu ?</div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-60837953465834997642014-04-24T13:18:00.002-07:002015-01-22T17:02:04.848-08:00Sur Annie Hall de Woody Allen et Designing woman de Vincente Minnelli<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-L9ldSxjAkKQ/U1hUZgTR6DI/AAAAAAAACKE/iia7ez94dfk/s1600/Annie-Hall-woody-allen-17905510-1280-854.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-L9ldSxjAkKQ/U1hUZgTR6DI/AAAAAAAACKE/iia7ez94dfk/s1600/Annie-Hall-woody-allen-17905510-1280-854.jpg" height="266" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-saRnZk-dWVo/U1hUQ4ejwGI/AAAAAAAACKA/5OomdlX5-WM/s1600/designing-woman1.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-saRnZk-dWVo/U1hUQ4ejwGI/AAAAAAAACKA/5OomdlX5-WM/s1600/designing-woman1.jpg" height="303" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<i><br /></i>20 ans<i> </i>séparent <i>Designing woman (La femme modèle</i>) de <i>Annie Hall</i> : 1957, 1977. En revoyant le Minnelli je suis frappée par les ponts qui existent entre les deux films et reste persuadée qu'Allen a dû penser au film de Minnelli en écrivant<i> Annie Hall</i>.<i> Designing woman</i>, il me semble, donne à voir une version quasi aboutie de la comédie romantique moderne telle qu'elle se fait encore de nos jours, il me fait l'effet d'un de ces films de la fin des années 50 qui ont l'aspect incertain des périodes de transition : cette démesure dans la narration, ce classicisme qui a ici quelque chose d'exubérant (il est sur le point d'exploser) : un classicisme bien mûr comme un fruit et qui menace bientôt de tomber dans les années 60. Bacall est une femme à l'indépendance indiscutée, pas de mère ni de père, seulement cette attache non contraignante que sont les amis, elle et Peck ne font presque plus semblant de commencer leur vie sexuelle avec le mariage, et d'ailleurs on sent ici que ce mariage n'est là que comme enjeu narratif, pour lier un peu plus sérieusement cet homme et cette femme, un peu plus sérieusement qu'un simple <i>girlfriend</i>/<i>boyfriend</i> même si chacun apparaît secrètement plus volage qu'il ne le dit. On est donc à deux doigts de cette autonomie sentimentale (c'est le coeur qui choisit, rien que le coeur, pas d'autres considérations d'ordre social), fond sur lequel apparaitront les héros des comédies romantiques.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Déjà il y a le titre, qui dans les deux films nomment le personnage féminin, annonce le film-portrait. Même si Annie Hall est clairement le portrait d'Annie (le vrai prénom de Diane Keaton) dressé par Woody Allen, <i>Designing Woman</i> est davantage équilibré : l'homme et la femme se peignent mutuellement. L'adresse à la caméra est présent dans les deux films, et dans les deux cas, ceux qui s'adressent à la caméra nous font (prétendument) le récit d'une catastrophe, ils parlent en témoin. </div>
<div style="text-align: justify;">
Puis, surtout, Los Angeles et New-York : dans le film de Minnelli Los Angeles est le lieu de l'idylle amoureuse, Mike et Marilla s'aiment parce que précisément ils s'offrent "nus" à l'autre : dépourvus des oripeaux sociaux et sociologiques, ils s'aiment en maillots de bain. C'est un peu l'histoire d'Adam et Eve. De retour à New-York le cauchemar commence parce que chacun à ses amis, ses habitudes, ses anciens prétendants, son appartement, que lui est chroniqueur sportif et que elle est styliste. Ils devront apprendre à aimer plus que l'autre : à aimer aussi sa vie.</div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Designing woman</i> nous fait croire que son intrigue principale concerne cette ex-copine de Mike un peu encombrante, il n'en est rien, cette ex est une sorte de prétexte pour rester dans le classicisme, pour parler de quelque chose, sinon le film ne parlerait de "rien", ce rien proprement allenien qui consiste à faire un film sur un couple qui se sépare en amis ou sur un homme qui hésite entre deux femmes - je veux dire par là qu'il faudra toujours plus au classicisme qu'une simple intrigue amoureuse, il lui faudra une autre intrigue, plus "solide", venant l'enrober. Chez Woody Allen l'intrigue amoureuse apparaît dans son plus simple
appareil, il n'y a plus que ça et c'est d'autant plus étonnant que nous
ne sommes pas en Europe et qu'on n'a pas l'habitude des films "vides" -
ici on pense évidemment à Cassavetes. </div>
<div style="text-align: justify;">
Le film de Minnelli parle finalement de cette difficulté à trouver sa place dans le décor d'un autre - parce qu'on n'aime pas ce décor. Les circonstances font l'amour et on est toujours à deux doigts de se séparer pour une mauvaise circonstance, ne serait-ce qu'à cause de l'étroitesse d'un appartement. Evidemment tout ça est enrobé sous la facture classique : happy end, train de vie dispendieux, qui finit par atténuer la sécheresse du propos.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Dans <i>Annie Hall</i> New-York est la ville idyllique, précisément parce que le quotidien s'y trouve : on y travaille et on aime - sexe et travail, programme freudien. De fait, Los Angeles devient le lieu de la rupture, parce qu'il devient inconcevable à Allen qu'on puisse préférer la grande santé californienne à la petite forme new-yorkaise. C'est parce qu'Annie préfère Los Angeles que le couple finira par se séparer : elle préfère le soleil, les fêtes dans les villas et le monde du show-business à un quotidien grisâtre passé entre les<i> nightclubs</i>, les librairies et les cinémas de quartier<i>. Annie Hall </i>raconte l'histoire d'amour ratée entre deux villes, deux personnes qui, en esprit, n'appartiennent pas à la même ville. Là encore la raison de la rupture est atténuée par le regard tendre qu'Alvy Singer porte sur Annie : en amour il y a des obstacles qui se surmontent mais les distances géographiques sont insurmontables; elles ne doivent pas pour autant rendre amer. Tout est affaire de décor, de préférence dans la mise en scène, il y a ceux qui ne peuvent s'aimer qu'au soleil, et ceux qui préfèrent s'aimer dans les files d'attente des cinémas. </div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-19227640935170512582014-02-12T15:15:00.000-08:002014-02-15T10:00:05.851-08:00Quelques notes sur "Je ne suis pas morte" de Jean-Charles Fitoussi<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-k_0_A03-9V8/Uvv7UeSWViI/AAAAAAAACIc/cDapgFhROuE/s1600/image_fitoussi_m.jpg" height="290" width="400" /></span></span></div>
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><i><br />"Nous pouvons en effet parler de vision et de lumière à propos de
toute appréhension sensible ou intelligible : nous voyons la dureté d'un
objet, le goût d'un mets, l'odeur d'un parfum, le son d'un instrument,
la vérité d'un théorème,.Qu'elle émane du soleil sensible ou du soleil
intelligible, la lumière, depuis Platon, conditionne tout être. Quelle
que puisse être la distance qui les sépare de l'intellect, la pensée, la
volition, le sentiment sont avant tout expérience, intuition, vision
claire ou clarté qui cherche à se faire." </i></span></span><br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><b>Lévinas<i>, </i>"La lumière",<i> De l'existence à l'existant</i> </b></span></span><br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><br /></span></span>
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;">Même quand <b>Monteiro </b>se veut purement fictionnel, il n'arrive
pas à se débarrasser d'une forme de rudesse expérimentale, de durée
straubienne. Rien de tout ça chez Fitoussi, dont la durée du film
(3h10), si elle peut effrayer au début (chez Monteiro on s'ennuie ferme
quand ça dure trois heures) finit par se justifier pleinement et par
éviter toute baisse de régime : il n'y a aucun moment où il faut
particulièrement s'accrocher, on reste suspendu au film, à sa vigueur.
C'est un film aimable, solaire et généreux. Aridité également chez <b>Eugène Green</b> à qui on pense un temps en voyant le film : la scène très frontale du <b><i>Pont des arts</i> </b>où
l'on répète Monteverdi. Chez Green comme chez Monteiro, l'étrangeté et
la singularité de leurs films passe par un sentiment d'opacité : opacité
d'un style qui s'obscurcit à mesure qu'il s'affirme. La règle serait :
plus cela s'opacifie plus cela se singularise. Même si j'aime beaucoup
ces deux cinéastes (même si plus j'y pense plus Monteiro m'énerve)
Fitoussi me permet de me rendre compte ce que ces cinéastes peuvent
avoir de maniéré, quelque chose qui est très certainement lié à une
forme de pathos de la distance, d'aristocratisme.</span></span><br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><br /></span></span>
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;">Pas
sûr de trouver la même chose chez Fitoussi tant tout dépend toujours
d'une volonté de rendre compte d'une plénitude de l'être, d'une
irréductible jouissance des vivants - quelque chose qui se rapprocherait davantage d'une logique de la sensation, et la sensation est intuitive, démocratique. Ce qui implique de la part de Fitoussi de se diluer tout à fait dans son film. Disons que le cinéma de Monteiro et de Green impliquent le corps du cinéaste, on le sent là, présent, comme on déciderait de placer son corps pour faire la circulation, intervenir, s'interposer. On ne sent pas le corps de Fitoussi dans ses films, simplement un regard démiurgique - le corps lui n'est jamais qu'à un seul endroit, le regard peut être partout, et dans<i> Je ne suis pas morte</i> il l'est. Et peut-être que la meilleure façon de faire disparaître le corps, c'est de faire des films d'outre-tombe ou de quasi outre-tombe : un personnage qui s'apprête à mourir, voit défiler sa vie et nous déroule son flux de conscience avant de mourir - ce qui intéresse Fitoussi dans cet état d'agonie c'est peut-être cette accélération du flux de conscience. C'est très certainement ce qui rend
le film si aimable, si abordable, cette absence de corps comme signature, mais s'il est abordable,<i> Je ne suis pas morte </i>n'en est pas moins un film majeur forgé dans du mineur.</span></span><br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><br /></span></span>
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;">La
plus belle scène du film est celle du concert dans la petite chapelle,
un je ne sais quoi qui tient au rythme, aux mouvements de caméra, à la
durée du plan final sur le petit enfant qui a quelque chose d'un doux
tremblement, d'une palpitation, comme si nous étions à l'écoute d'un
pouls : c'est le tremblé des photos de famille où l'enfant gigote,
n'arrive pas à se tenir tranquille et dans un même mouvement, se livre
totalement. Il y a quelque chose dans cette scène qui tient quasiment de
l'acupuncture tant elle secoue, fait frémir, s'intensifie mais on ne
saurait dire par où et comment, on ressent simplement une sorte de
dilatation progressive du sentiment, jusqu'à ce qu'il approche quelque
chose d'océanique, un état liquide - la nécessité d'évacuer par les
larmes. </span></span><br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><br /></span></span>
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;">Vu juste avant, <i><b>Nocturnes pour le roi de Rome</b></i>,
là encore le même procédé de voix-off, un héros condamné à mourir et
qui dit adieu à la vie. Voix, là encore, de quasi outre-tombe qui nous ramène ici à l'usage que pourrait en faire un<b> Terrence Malick</b>. Chez l'un comme chez l'autre c'est le
même spiritualisme, la même transcendance affirmée par la lumière, cette
lumière qui semble se matérialiser, à qui l'on désire dessiner un corps
en jouant avec elle - les plans "brûlés" ou disons plutôt les <i>coups de
soleil</i> de <i>Je ne suis pas morte</i> : c'est la lumière qui travaille le plan, pas l'inverse. Il y a chez Malick et Fitoussi, la même
nostalgie des vivants portée par la voix off : l'oeil et la voix, comme
si c'était ce qui pouvait rester de nous par-delà la mort. Si Fitoussi
est une sorte de Malick français il faut comprendre tout ce qu'implique
le fait d'être français : une limite dans les moyens, une rudesse,
obligeant Fitoussi à filmer la transcendance avec les moyens d'un <i>
arte povera</i>. Si le film plane il le fait ainsi à partir d'un prosaïsme
très sec, bressonien qui, comme dit plus haut, lui sert finalement
de tremplin, lui permet d'aller encore plus haut, plus loin. C'est
l'univers dans le bol de café - choses précieuses et qui sont pour moi
intimement liées au cinéma français ou alors au cinéma russe -
d'ailleurs chez Fitoussi, Tarkovski n'est pas loin.<br /><br />Quotidienneté
et prosaïsme français résumés dans l'incroyable scène de petit-déjeuner
où la jeune Hélène se dit comme à elle-même "Ah ce que j'aime les
petits déjeuners". </span></span><br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;">A être trop hollywoodien Malick rate peut-être
le coche du frémissement prosaïque par un excès de moyen, l'excès hollywoodien s'oppose au dénuement français. Du moins Malick le ramène davantage à
une mythologie de la famille américaine voire, et c'est par là qu'il ne
plaît pas, vers quelque chose de publicitaire - conséquence d'un film trop léché, trop enrobé, parce que trop présentable, parce qu'étant un blockbuster. Il est
impossible de reprocher ça à Fitoussi, compte tenu de la nudité extrême
de son cinéma, de la nudité inhérente au cinéma français. Il y a d'ailleurs une fascination pour la quotidienneté qui est toute française et qui parcourt le cinéma, la philosophie et la littérature. </span></span><br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><br /></span></span>
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;">Sur la jouissance, quelques extraits de Lévinas, cette notion semble être au fondement de tous les plans de Fitoussi, elle est ce qui relie les fragments entre eux : </span></span><br />
<br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><i>"Nous
vivons de "bonne soupe", d'air, de lumière, de spectacles, de travail,
d'idées, de sommeil, etc. Ce ne sont pas là des objets de
représentations. Nous en vivons. Ce dont nous vivons n'est pas non plus
"moyen de vie", comme la plume est le moyen par rapport à la lettre
qu'elle permet d'écrire; ni un but de la vie, comme la communication est
but de la lettre. Les choses dont nous vivons ne sont pas des outils,
ni même des ustensiles, au ens heideggerien du terme. Leur existence ne
s'épuise pas par le schématisme utilitaire qui les dessine, comme
l'existence des marteaux, des aiguilles ou des machines. Elles sont
toujours, dans une certaine mesure, - et même les marteaux, les
aiguilles et les machines le sont - objets de jouissance, s'offrant au
"goût" déjà ornées, embellies. De plus, alors que le recours à
l'instrument suppose la finalité et marque une dépendance à l'égard de
l'autre, "vivre de..." dessine l'indépendance même, l'indépendance de la
jouissance et de son bonheur qui est le dessin originel de toute
indépendance." [...] On n'existe pas seulement sa douleur ou sa joie, on
existe de douleurs et de joies,. Cette façon pour l'acte de se
nourrir de son activité même, est précisément la jouissance. [...] Le
pain et le travail ne me divertissent pas, au sens pascalien, du fait nu
de l'existence, ni n'occupent le vide de mon temps : la jouissance est
l'ultime conscience de tous les contenus qui remplissent ma vie. [...]
Ainsi les choses sont toujours plus que le strict nécessaire, elles font
la grâce de la vie"<br /><br />"La vie est amour de la vie, rapport avec
des contenus qui ne sont pas mon être, mais plus chers que mon être :
penser, manger, dormir, lire, travailler, se chauffer au soleil. [...]
La réalité de la vie est déjà au niveau du bonheur et, dans ce sens,
au-delà de l'ontologie. Le bonheur n'est pas un accident de l'être,
puisque l'être se risque pour le bonheur." </i></span></span><br />
<br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><i> </i><b><br /></b></span></span><br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;">Ceci renvoie à la scène magnifique, déchirante, où Frédéric crie de douleur, s'effondre sur le sol,
il se réveille dans l'euphorie d'être en vie, et le passage de l'un à
l'autre, de la douleur primale à l'allégresse a tout de cohérent. Si
Frédéric creuse son sentiment, si chaque personnage creuse sa douleur il finira toujours par tomber sur la jouissance d'être en vie,
la jouissance de lui-même. C'est d'ailleurs ceci qui travaille Alix, si
elle veut tant être amoureuse c'est qu'elle veut apprendre à
s'éprouver, à se goûter elle-même. De même que Pascal voyait dans
l'amour </span></span><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;">un accès privilégié au moi dépouillé de toutes ses qualités.</span></span><br />
<br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><i>"Les actes de sentir,
de souffrir, de désirer ou de vouloir, appartiennent à la vie de
l'esprit par le fait d'être conscient, d'être des expériences de pensées
au sens cartésien."</i></span></span><br />
<br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;">Le prosaïsme de<b><i> Je ne suis pas morte</i></b> tient également, et
paradoxalement, au choix de la voix-off : celle, hésitante et modeste,
teintée de
renoncement, d'une vieille femme qui se parle à elle-même, alors qu'on
s'attendrait plutôt à une voix très aérienne et lénifiante, comme on
peut en trouver chez Malick. Ce choix y
est pour beaucoup dans la réussite du film. Je crois que la plus belle
chose du film est cette façon que Fitoussi a de désamorcer toute
tentative de gravité, de grandeur, de cinéma comme art majeur, art noble
(ou alors il déduit du prosaïsme un art noble) pour épouser un
mouvement davantage immanent, onduler à travers ses histoires sans
jamais en déduire une totalité. De fait, le choix de
ranger la totalité de sa filmographie sous le titre "Le château de
Hasard" ne veut finalement rien dire si ce n'est que ce château se
dilate à mesure qu'on le remplit, c'est une totalité qui ne préexiste
jamais à ses parties mais ne prendra jamais que la forme de ses
parties. On a l'impression qu'il suffit d'être
attentif aux histoires, y tendre
l'oreille pour qu'elle bourgeonne d'elles-mêmes et imposent au cadre la
forme et le rythme qui leur sont propres - ce vieux récit qui bouge
encore. Le film en cela n'a rien de <i>carré</i> et tout de l'asymétrie touffue et foisonnante du végétal. A voir la lumière du film on se dit que ce n'est pas l'oeil qui fait lumière sur les objets mais plutôt les objets du monde qui éclairent le regard, le film donne ainsi l'impression de croître plutôt que de progresser, et il croît, comme une plante, sous la lumière, élément fondamental, condition de toute sensation, de toute souffrance comme de tout bonheur. Dans cette acceptation inconditionnelle de l'existence, la nostalgie de la lumière est une nostalgie de tout ce qu'elle éclaire<i>.</i></span></span><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><i><br /></i></span></span><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><i><br />"Toute opposition à la vie, se réfugie dans la vie et se réfère à ses valeurs." </i></span></span><br />
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><br /></span></span>
<span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><span style="font-size: small;"><i>"Le monde, dont l'existence est caractérisée par la lumière, n'est donc pas la somme des existants. L'idée même de totalité ou d'ensemble n'est compréhensible que dans un être qui peut l'embrasser. Il y a totalité, parce qu'elle se réfère à une intériorité dans la lumière." </i></span></span><br />
<span style="font-size: small;"><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;"><br /><span style="font-size: x-small;"><b><br />Toutes les citations sont tirées de <i>Totalité et Infini</i>, chapitre "La jouissance", et de<i> L'existence à l'existant</i>, chapitre sur "La lumière"</b></span><br />
<br />
</span></span>
<br />
<br /></div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-70970613722121009142014-01-03T17:50:00.001-08:002015-01-22T17:03:52.364-08:00Une femme disparaît - Sur Frontière Chinoise de John Ford (Seven Women, 1966)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div style="background-color: white; line-height: 16px; margin-bottom: 5px; margin-right: 5px; margin-top: 5px; padding: 0px; text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span style="font-family: inherit;"> Reprise d'un texte publié initialement <a href="http://pierrecormary.hautetfort.com/archive/2013/12/02/frontiere-chinoise-par-murielle-joudet-5236020.html" target="_blank">ici</a></span></span><br />
<span style="font-size: small;"><span style="font-family: inherit;"><br /></span></span>
<br />
<div class="separator" style="clear: both;">
<span style="font-size: small;"><span style="font-family: inherit;"></span></span><a href="http://pierrecormary.hautetfort.com/media/01/02/3521427042.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://pierrecormary.hautetfort.com/media/01/02/3521427042.png" height="200" width="400" /></a></div>
</div>
<div class="Standard" style="background-color: white; line-height: 16px; margin: 5px 5px 5px 28.55pt; padding: 0px; text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span style="font-family: inherit;"><br /><i><br /></i>Le titre original de<i> Frontière chinoise </i>est <i>Seven women.</i></span></span></div>
<div class="Standard" style="background-color: white; line-height: 16px; margin: 5px 5px 5px 28.55pt; padding: 0px; text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span style="font-family: inherit;"><i>Frontière chinoise / Sept femmes, </i>deux titres pour deux lectures possibles. La première, c'est la lecture épique qui ferait de <i>Frontière Chinoise </i>un western fordien, l'histoire d'un territoire à défendre, d'un foyer qu'on recompose avec des moyens qui ne cessent de s'amenuiser, la chute d'un état de grâce, d'une certaine abondance immobile vers la mobilité de la survie et de la défense. De fait, on dirait que le film n'est qu'une longue déclinaison d'une des scènes matricielles des westerns fordiens, celle qui fait souvent office de contrechamp à l'horizon : l'attente d'une famille, et surtout des femmes, sur le seuil de la maison familiale, comme un précipité de mise en scène fordienne, chaque personnage venant se placer à un endroit précis du seuil, le regard porté au loin <i>(La prisonnière du désert)</i>. C'est une sorte de conjonction de deux espaces fordiens qu'opère<i>Frontière chinoise</i>, l'espace féminin du foyer, l'autre masculin, celui de la ligne de fuite, mais cette fois le masculin se repliera sur le féminin, cette fois-ci les trajectoires ne partent pas du foyer mais viennent de l'extérieur pour y pénétrer : on n'y sort quasiment jamais en quête de dangers, c'est le danger qui vient à nous, un western filmé depuis le foyer.<br /><br />Et puis il y a la lecture à partir du titre<i> Seven women,</i> titre énigmatique en forme de chaise musicale puisque au plus fort du film on en compte huit, mais à la fin il n'y en a finalement que sept. Il y aurait une femme qui n'en est pas une. L'énigme du titre américain ne permet pas vraiment de décider qui, des personnages féminins, est incluse ou exclue de ce « seven » restrictif. Le film laisse penser qu'aucune ne mérite d'être appelée ainsi, chacune n'étant que le moment d'un spectre de toutes les monstruosités, de tous les ratés du féminin : il y a Agatha Andrews (Margaret Leighton) qui dirige la mission, et dont la rectitude et le puritanisme ne sont que l'envers de son homosexualité larvée (ambiguïté que l'on nous montre lors d'une scène érotique magnifique), homosexualité entièrement dirigée vers la jeune Emma Clark qu'elle éduque, jouée par Sue Lyon, l'une des grandes figures de jeunes filles du cinéma hollywoodien des années 60 (<i>Lolita, La nuit de l'iguane</i>), jeune fille docile et innocente, complètement fascinée par le Docteur Cartwright (Ann Bancroft), jeune femme indépendante, fumeuse, alcoolique, vieille fille à la vie sexuelle décomplexée. Il y a aussi Florrie, dont la grossesse tardive et à risque, due à l'irrésolution de son mari (qui lui-même n'est pas vraiment considéré comme un homme) met à l'épreuve les femmes de la mission qui ont fait vœu de chasteté.<br /><br />Un peu comme Sue Lyon qui, en trois films deviendra l'image même de l'innocence hollywoodienne viciée, Anne Bancroft, sera, un an après avec<i> le Lauréat,</i> le visage sans mélange du Hollywood des années à venir (tandis qu'une figure impure comme Elizabeth Taylor aura connu à la fois la superbe classique et le chant du cygne des 60's) : décomplexé, désabusé, libre mais désespéré. Plus aucun cadre ne supporte cette figure, et elle ne connaîtra la liberté que dans l'action que lui permet sa profession, faisant d'elle l'unique cowboy du film. Dans<i>Frontière chinoise</i>, Docteur Cartwright et Agatha Andrews diluent leur désespoir féminin dans la fonction et les responsabilités qui les définissent. Ici encore on n'imagine aucun salut possible en dehors du groupe, les 60's aidant, lorsqu'on se penche sur le destin de chacune la misère sexuelle et affective prédominent. Tout est mauvais à prendre dans la sphère personnelle, toute conscience est malheureuse, il n'y a d'harmonie que collective, c'est-à-dire dans l'oubli de soi. La grande noirceur de <i>Frontière Chinoise</i> est due à cette façon qu'à Ford de s'approcher de ses personnages jusqu'au gouffre, d'entraver son film d'une perpétuelle conscience malheureuse.<br /><br />Bancroft finira par vaincre, par la seule valeur qui vaille, l'action, tandis qu'Agatha Andrews, devenue folle, psalmodiera contre le mal et le vice qu'elle voit partout. Son discours est aussi celui, à peine voilé, de sa frustration sexuelle érigée en choix de vie. Dans l'avant-dernier plan final, c'est bien la mission envahie, l'espace féminin, que les sept femmes fuiront, laissant Anne Bancroft se sacrifier pour elles dans ce qui sera la dernière image d'une fiction fordienne : la silhouette de Bancroft s'empoisonnant au chevet de sa victime, le tyran Tuga-Khan, et lui adressant un dernier <i>« so long, bastard »</i>. Arrivée en cowboy, elle mourra en geisha. Pas assez puis finalement un peu trop femme.<br /><br />Etrange sentiment de voir qu'avec le seul film fordien presque exclusivement féminin, c'est d'une figure féminine impossible dont témoigne <i>Frontière Chinoise</i>. Comme si à trop s'approcher on ne voyait plus rien, comme s'il n'y avait rien à voir au-delà, en-deçà plutôt, d'une certaine distance qui embrasse le collectif – il faut filmer des horizons, qu'il soit familial, <span style="font-family: inherit;">politique</span>, guerrier. Chez Ford, si rien ne peut se penser soi-même mais toujours à partir d'un autre, si tout possède son identité d'une certaine utilité qu'on lui attribue, ces sept femmes ne peuvent ici que se penser à partir d'un féminin omniprésent jusqu'à l'étouffement, faisant ainsi chacune, en tant que femme, l'expérience du vide.</span></span></div>
<div class="Standard" style="background-color: white; line-height: 16px; margin: 5px 5px 5px 28.55pt; padding: 0px; text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span style="font-family: inherit;"><b>Murielle Joudet</b></span></span></div>
</div>
Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5717891473504554788.post-35498141621172260492013-12-30T14:12:00.000-08:002015-01-22T17:03:38.596-08:00Splendor in the grass, Elia Kazan (1961)<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://4.bp.blogspot.com/-Vwdi0R9mOBY/UsHPdtt7WLI/AAAAAAAACF0/9CpdAniYCDo/s1600/vlcsnap-2013-12-30-19h09m43s56.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-Vwdi0R9mOBY/UsHPdtt7WLI/AAAAAAAACF0/9CpdAniYCDo/s400/vlcsnap-2013-12-30-19h09m43s56.png" height="211" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><br /></span>
<span style="font-size: x-small;"><span style="font-size: small;"><i>« Quand on dit que la sexualité a une
signification existentielle ou qu’elle exprime l’existence, on ne doit pas
l’entendre comme si le drame sexuel n’était en dernière analyse qu’une
manifestation ou un symptôme d’un drame existentiel. La même raison qui empêche
de réduire l’existence au corps ou à la sexualité empêche aussi de
« réduire » la sexualité à l’existence : c’est que l’existence
n’est pas un ordre de faits (comme les « faits psychiques ») que l’on
puisse réduire à d’autres ou auquel ils puissent se réduire, mais le milieu
équivoque de leur communication, le point où leurs limites se brouillent, ou
encore leur trame commune. Il n’est pas question de faire marcher l’homme
« sur la tête ». Il faut sans aucun doute reconnaître que la pudeur,
le désir, l’amour en général ont une signification métaphysique, c’est-à-dire
qu’ils sont incompréhensibles si l’on traite l’homme comme une machine
gouvernée par des lois naturelles, ou même comme un faisceau d’instincts, et
qu’ils concernent l’homme comme conscience et comme liberté. »<br /><br />"La
sexualité, dit-on, est dramatique parce que nous y engageons toute
notre vie personnelle. Mais justement pourquoi le faisons-nous ?
Pourquoi notre corps est-il pour nous le miroir de tout notre être sinon
parce qu'il est un moi naturel, un courant d'existence donnée, de sorte
que nous ne savons jamais si les forces qui nous portent sont les
siennes ou les nôtres - ou plutôt qu'elles ne sont jamais ni siennes ni
nôtres entièrement. Il n'y a pas de dépassement de la sexualité comme il
n'y a pas de sexualité fermée sur elle-même. Personne n'est sauvé et
personne n'est perdu tout à fait."</i><br />
</span><b><span style="font-size: small;">Merleau-Ponty - Phénoménologie de la perception</span></b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
Revu <b><i>Splendor in the Grass</i> d'Elia Kazan (la Fièvre dans le sang, 1961</b>), que j'avais dû voir vers mes 17 ans. Il m'en restait la scène d'hystérie dans la baignoire et Barbara Loden en robe blanche entourée d'hommes. Aucun souvenir mémorable de l'histoire, si ce n'est que le film est venu se fondre avec les autres Kazan, sorte de pré-Scorsese : filmographie un peu grasse, peut-être celui qui incarne le mieux cet entre-deux esthétiquement impur des 60's, et pourtant <i>La fièvre dans le sang </i>est un film à revisiter tant son romantisme finit par prendre le pas sur le désenchantement. </div>
<div style="text-align: justify;">
Les sixties c'est, pour moi, l'époque désabusée des adaptations de Tennesse Williams (genre Richard Brooks), de la norme triste et des films qui la dénoncent : <b><i>Reflets dans un oeil d'or</i> (1967)<i> </i>de John Huston</b>, <i><b>Le Lauréat</b></i><b> (1969) </b>et <b><i>Qui a peur de Virginia Woolf ? </i>(1966)<i> </i>de Nichols, <i>La poursuite impitoyable </i>(1966) d'Arthur Penn, <i>L'arrangement </i>(1969)<i> </i>de Kazan, <i>Le Chevalier des sables </i>(1965) de Vincente Minnelli, <i>L'homme à la peau de serpent</i> (1959) de Richard Brooks</b>. Ca n'est pas encore tout à fait le retour du refoulé, plutôt l'époque où le cadre oppresse et où le vent de la liberté tente de l'exploser, on conscientise le refoulé mais son retour n'est pas encore tout à fait consommé (si ce n'est peut-être chez <b>Aldrich</b>). Ce n'est qu'à moitié intéressant, cette conscience malheureuse du cinéma, ces couples qui s'embêtent et ces scènes à la sortie des églises. De ce genre-là<i> Splendor in the grass</i> n'en fait qu'à moitié partie, peut-être parce que réalisé en 1961, année où l'esprit du temps et du cinéma n'ont pas encore tout a fait changé. Le film dessine d'abord de fausses pistes et de fausses promesses à travers le personnage de la soeur jouée par Barbara Loden. C'est plus profondément un grand film où tout fleurit en romantisme, romantisme entièrement porté par la carrière de <b>Natalie Wood</b> et par ses rôles dans<b> <i>West Side Story</i> </b>et <b><i>La fureur de vivre</i></b>. Un jeu d'un autre temps, très expressionniste, fougueux, anachronique et suréel.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-BluCT65YAx4/UsHPcc4cpMI/AAAAAAAACFY/ZwJA-DH_uuk/s1600/vlcsnap-2013-12-30-18h57m36s189.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-BluCT65YAx4/UsHPcc4cpMI/AAAAAAAACFY/ZwJA-DH_uuk/s400/vlcsnap-2013-12-30-18h57m36s189.png" height="212" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-4--ncSdmN6w/UsHPcBuT5FI/AAAAAAAACFc/3BUbdlocQ3M/s1600/vlcsnap-2013-12-30-18h57m44s27.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-4--ncSdmN6w/UsHPcBuT5FI/AAAAAAAACFc/3BUbdlocQ3M/s400/vlcsnap-2013-12-30-18h57m44s27.png" height="212" width="400" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://3.bp.blogspot.com/-o5RFN0r4fEA/UsHPcJ4oQNI/AAAAAAAACFU/bdNrrNaTTVg/s1600/vlcsnap-2013-12-30-18h57m50s91.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-o5RFN0r4fEA/UsHPcJ4oQNI/AAAAAAAACFU/bdNrrNaTTVg/s400/vlcsnap-2013-12-30-18h57m50s91.png" height="212" width="400" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://3.bp.blogspot.com/--rH0fNdsorA/UsHPfDPwlDI/AAAAAAAACGI/Q8gtFPcbcb8/s1600/vlcsnap-2013-12-30-18h58m43s110.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/--rH0fNdsorA/UsHPfDPwlDI/AAAAAAAACGI/Q8gtFPcbcb8/s400/vlcsnap-2013-12-30-18h58m43s110.png" height="212" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
De fait,<b><i> Splendor in the grass</i></b> est porté par un seul et unique sujet apparemment limité : le sexe. La jeunesse trouve son idéal tout entier incarné dans le sexe mais non pas de façon décomplexée et un peu hippie, plutôt dans le fait que, plus la frustration grandit, plus on s'en sort par le romantisme. </div>
<div style="text-align: justify;">
Procédé comique, Kazan ne filme ses personnages que par le prisme de leur libido jusqu'à cette scène où même le médecin fait de l'oeil à son infirmière. Tout transpire le sexe, chacun de leurs dialogues étant dictés par lui - le film est en cela, comme tout teen-movie, d'abord une "comédie hormonale", un documentaire animalier.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://3.bp.blogspot.com/-MAvq6nlqzsI/UsH6gIU8fWI/AAAAAAAACGc/sGYthIdclLg/s1600/vlcsnap-2013-12-30-19h07m17s135.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-MAvq6nlqzsI/UsH6gIU8fWI/AAAAAAAACGc/sGYthIdclLg/s400/vlcsnap-2013-12-30-19h07m17s135.png" height="212" width="400" /></a></div>
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Lorsque Beatty explique à son père qu'il ne veut pas faire Yale, qu'il se sent mal et ne tient plus, on comprend qu'il exprime son envie dévorante de coucher avec Deanie (Natalie Wood). Ambiguité de tous les gestes et de toutes les paroles, plus la frustration monte plus on promet à l'autre qu'il est toute sa vie et qu'on ne peut pas vivre sans lui. Sexe ou idéal de romantisme ? Le film n'a en cela aucune envie de résoudre l'ambiguité, en témoignent certaines scènes : Deanie à genoux aux pieds de son amoureux en signe de dévotion romantico-sexuelle, Deanie serrant très fort les coussins de son lit, indique qu'elle est au bord de se caresser. C'est tout un même mouvement que relance la deuxième partie du film, celle où, chacun des deux héros, séparés, pansent les plaies des désirs inassouvis qu'ils soient ou non sexuels - c'est un même mouvement vital qui a été entravé, corrompu et qui ne cesse de slalommer entre les obstacles jusqu'à trouver une issue qui tarde à venir, dans une maison de repos ou dans un ranch. </div>
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L'impression que le film ne parvient jamais à s'épuiser mais reste toujours sur un rythme émotionnel très soutenu tient au fait que l'intrigue est elle-même sublimée, que le documentaire sur les teenagers surexcités finit par les métamorphoser en anges blessés qui atteignent une forme de sérénité dans le calme brûlant de leurs retrouvailles. Tout le romantisme du film ne découle que de cette énergie sexuelle frustrée, et qui ne dévalue pas pour autant la portée de ce romantisme, mais le respecte comme une forme légitime d'idéal juvénile : un corps qui n'irait pas sans son esprit, un esprit sans son corps, c'est de leur indiscernabilité, de leur intime liaison dont se réclament les sentiments de nos jeunes héros. </div>
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Murielle Joudethttp://www.blogger.com/profile/09132604596480771413noreply@blogger.com0